Entretien : Meghan Murphy
L’Irish Women’s Lobby défend les droits des femmes et la liberté d’expression.
Dans cet article paru initialement sur FeministCurrent, Megan Murphy s’entretient avec deux membres de l’Irish Women’s Lobby au sujet de leur combat contre la loi sur la reconnaissance du genre et de ses conséquences pour les femmes irlandaises.
L’Irish Women’s Lobby (IWL) a été créé le 8 mars 2021. J’ai récemment interrogé trois membres du groupe à propos de leurs objectifs et des problèmes particuliers qu’elles rencontrent en Irlande.
Meghan Murphy : Quel est l’objectif de l’Irish Women’s Lobby ? Quels sont vos principaux objectifs et combats ?
IWL : Je pense que la première chose que nous dirions est que, en tant que femmes irlandaises, nous vivons une période très particulière et inquiétante de l’histoire de l’Irlande. Nous vivons dans un contexte et à une époque où non seulement nos droits sont rognés par la législation irlandaise, mais où l’érosion de nos droits est en plus présentée comme un progrès par des personnes qui devraient être mieux informées – et dont certaines sont grassement payées pour être mieux informées. Notre situation n’a rien d’unique, nous voyons ce phénomène se répandre dans tout le monde occidental, mais il est nettement plus avancé en Irlande que dans de nombreux autres pays, et nous devons remercier pour cela le volet « auto-identification » (c’est un raccourci pour ce type de législation, qui permet à n’importe qui de s’auto-identifier comme étant du sexe opposé, sans difficulté) de la loi irlandaise de 2015 sur la reconnaissance du genre.
Nous avons créé l’Irish Women’s Lobby en réponse à cette situation et aux autres difficultés auxquelles les femmes sont actuellement confrontées. L’Irlande est devenue un environnement de plus en plus hostile pour toute femme qui ose prendre la parole pour défendre ses propres droits fondés sur le sexe. Depuis 2015, cette hostilité ne cesse de croître, mais aujourd’hui nous avons atteint un haut niveau d’absurdités. Notre fâcheuse posture pourrait presque revêtir une dimension comique si elle n’était pas susceptible de coûter la vie à certaines femmes. En effet, la situation ici a évolué au point que les délinquants sexuels masculins sont désormais incarcérés dans des prisons pour femmes.
Notre problème est que l’Irlande a adopté la loi sur la reconnaissance du genre sous une forme qui permet de changer légalement de « genre », c’est-à-dire sans aucune exigence d’intervention ou d’évaluation médicale. Cette loi a été adoptée pratiquement sans aucune concertation et certainement sans réelle enquête sur ses éventuelles répercussions négatives. La promulgation de cette loi a créé un système dans lequel des hommes s’identifiant comme transgenres peuvent avoir accès à tous les espaces ou services réservés aux femmes, sans aucune précaution. Parallèlement à cette législation, des militants pour la » justice sociale » ont mené une campagne sans relâche, générant un climat dans lequel les féministes ne peuvent plus exprimer leurs préoccupations sans crainte de représailles.
Reflétant la puissance du lobby, la prise de contrôle de l’arène politique et des ONG en Irlande est considérable, et ce sont bien sûr les femmes qui sont visées. Le service de santé irlandais a supprimé toute mention de « femme » et de « femmes » dans une campagne publicitaire de prévention du cancer du col de l’utérus, prétendument dans un souci d' »inclusion ». Suite à la protestation de Radicailín, un groupe féministe radical composé d’Irlandaises et de migrantes, la publicité a été mise à jour, mais elle n’utilise toujours le mot « femme » qu’une seule fois, et le mot « personnes » cinq fois (« femmes » n’apparaît pas du tout). Pendant ce temps, en Irlande, contrairement au cancer du col de l’utérus, le cancer de la prostate reste une maladie réservée aux hommes, et n’est pas devenu par magie » non-genré » dans un effort d' » inclusion « .
Le public, dans sa majorité, n’est pas conscient de l’existence de la loi sur la reconnaissance du genre et ne comprend pas non plus le niveau de menace qu’elle représente pour les femmes et les filles. L’IWL tente de soulever ces questions et bien d’autres encore, et de créer un espace de discussion dans le débat public. Nous sommes, bien sûr, malmenées et abusées pour cela de multiples façons, comme les féministes le sont et l’ont toujours été.
Notre premier objectif et le plus urgent est d’assurer la représentation médiatique et politique des femmes en Irlande. En effet, le Conseil national des femmes d’Irlande travaille activement contre les droits des femmes. Ils ont – avec Amnesty International, Trans Equality Network Ireland et d’autres ONG bien financées – signé une pétition demandant la suppression de la » légitimité de représentation » de femmes, telles que nous, qui » défendent la biologie « . Dans une situation où nous voyons le Conseil national des femmes d’Irlande et Amnesty International exiger que toute femme irlandaise (ou tout homme d’ailleurs) qui s’exprimerait contre les effets néfastes et nuisibles de la loi de 2015 sur la reconnaissance du genre soit privée de représentation médiatique et politique, nous n’avions pas d’autres choix que d’insister sur notre droit démocratique à cette représentation. Lorsque cette lettre a été signée par ces organismes, et par le Conseil national des femmes d’Irlande en particulier, nous avons su qu’en tant que femmes irlandaises, nous n’aurions pas d’autres choix que de nous exprimer en bravant ceux qui ont adhéré à un appel visant à réduire les femmes irlandaises au silence dans la sphère publique. Nous pensons que les faits parlent d’eux-mêmes ; il devrait être évident que les signataires de cette lettre ont agi d’une manière agressive, dérangeante et manifestement totalitaire.
MM : En quoi le mouvement des femmes irlandaises diffère-t-il du mouvement des femmes dans d’autres régions d’Europe et d’Amérique du Nord ?
IWL : Le mouvement des femmes ici diffère de toutes sortes de manières, dont une des manifestations déplorables est le nombre de femmes qui se déclarent féministes tout en sapant ou en agressant carrément les droits des femmes fondés sur le sexe. Il y a de quoi désespérer d’un féminisme qui ne reconnaît pas sa propre finalité. Tout ceci est bien sûr fortement sous-tendu par la classe sociale, comme tout le reste en Irlande. On pourrait dire que la classe sociale est à l’Irlande ce que la race est aux États-Unis – bien sûr, ce n’est pas la même chose, mais il y a des parallèles étonnants. En Irlande, la classe sociale est le grand tabou – on n’est pas censé en parler. Le problème est profondément enraciné dans notre histoire avec le colonialisme britannique, et il persiste depuis des siècles.
Chaque partie de l’Occident aura ses propres défis locaux. En ce qui nous concerne, un glissement vers la gauche était socialement nécessaire pour contrebalancer un récit national qui avait trop longtemps penché vers le conservatisme religieux et social, mais nous sommes maintenant plongés dans l’absurdité néolibérale. Certaines parties du monde occidental ont des problèmes avec un récit politique qui va trop à droite. Nous avons le problème inverse : nous sommes allés trop loin à gauche – mais comme dans beaucoup d’autres endroits, c’est une « gauche » qui a abandonné une analyse de classe, et avec elle, les classes ouvrières, tant féminines que masculines. La brigade woke d’Irlande s’est enivrée de sa propre boisson, mais nous devons tous supporter la gueule de bois.
MM : Quelle est la situation actuelle de la prostitution ?
IWL : La grande majorité des femmes qui se prostituent en Irlande – environ 95 % – sont des migrantes, principalement originaires des pays les plus pauvres d’Europe de l’Est, mais aussi du Nigeria, du Brésil et de certaines régions d’Asie. Les pourcentages fluctuent, mais les femmes étrangères dans le commerce du sexe en Irlande représentent toujours plus de 90 %. C’est la situation qui prévaut depuis des années ; c’est très triste. Il est également très écœurant de voir les lobbyistes pro-prostitution financés par Soros faire campagne sans relâche pour dépénaliser les proxénètes en Irlande. Les femmes migrantes sont généralement payées une misère une fois que leur proxénète a pris sa part, et la pression pour dépénaliser leurs proxénètes vient de femmes qui demandent 300 à 400 euros de l’heure dans la prostitution d’escorte et qui sont salariées pour faire pression en faveur de la dépénalisation totale du commerce du sexe en Irlande. Elles ne sont en aucun cas représentatives des femmes qui souffriraient le plus si elles parvenaient à décriminaliser les proxénètes du commerce du sexe en Irlande.
Il est désormais illégal d’acheter le corps d’une femme (ou de quiconque) à des fins sexuelles en Irlande, mais les habitudes masculines de droit au sexe ont la vie dure, et nous dirions qu’il n’y a pas assez de condamnations, même s’il y en a eu quelques-unes. Il existe de nombreux obstacles dans ce domaine, notamment le fait que certaines organisations et personnes qui s’élèvent contre la prostitution utilisent un langage apolitique, tel que « travail du sexe » et « loi sur les acheteurs de sexe », etc. Ce type de formulation est contradictoire : on ne peut pas dire que la prostitution est intrinsèquement violente tout en la présentant comme un emploi, et on ne peut pas dire que ce que les hommes achètent dans la prostitution est un accès sexuel au corps des femmes tout en les désignant comme des « acheteurs de sexe ». Le mouvement abolitionniste international et le mouvement des survivantes en particulier ont des liens très forts avec l’Irlande. Ce mouvement possède un langage qui lui est propre et qui est en grande partie défini par les survivantes. Il est regrettable que davantage de militantes irlandaises n’aient pas pris le temps de l’apprendre.
MM : Pouvez-vous expliquer un peu plus en détail la question du langage ? Qu’est-ce qui serait préférable ?
IWL : Des termes comme » travail du sexe « , » loi sur les acheteurs de sexe » et » modèle d’égalité » ne sont jamais utilisés ici – par aucune personne politique expérimentée. Les militantes abolitionnistes irlandaises parlent de « prostitution » pour désigner la prostitution, de « prostitueurs » pour désigner les clients, et du « modèle abolitionniste » ou du « modèle nordique » pour désigner les cadres juridiques abolitionnistes. Les survivantes qui ont passé une décennie à se battre pour le modèle nordique doivent maintenant subir le remaniement corporatif du « modèle d’égalité », qui fonctionne peut-être bien ailleurs dans le monde, mais qui n’est pas celui pour lequel les Irlandaises se sont battues. Ce langage a été imposé aux survivantes irlandaises du commerce du sexe par des féministes d’entreprise qui n’ont jamais pris le temps de demander. Vous seriez intéressé de savoir comment elles raisonnent, sauf qu’en réalité elles ne raisonnent tout simplement pas. Les organisations féministes qui ignorent les groupes de survivantes dans la planification de leur campagne contre le commerce du sexe ne réfléchissent pas du tout.
MM : Y a-t-il eu d’autres événements notables concernant la législation et l’idéologie de l’identité de genre en Irlande ?
IWL : En 2007, la Haute Cour irlandaise a estimé que l’Irlande était en infraction avec la Convention Européenne des Droits de l’Homme, car elle ne disposait pas d’un processus permettant de reconnaître légalement le « genre acquis » des personnes transsexuelles. En 2011, un groupe consultatif gouvernemental sur la reconnaissance du genre a recommandé, après une large consultation, un contrôle médical et une vie à plein temps pendant deux ans dans le « nouveau genre » avant de recevoir un certificat de reconnaissance du genre (GRC). Le projet de loi ultérieur sur la reconnaissance du genre, publié en décembre 2014, exigeait une évaluation et une certification médicales.
Cependant, à la suite de pressions et de subterfuges, la loi sur la reconnaissance du genre (GRA) qui a été adoptée en 2015 ne comportait aucune exigence de ce type, ni aucun contrôle de quelque nature que ce soit. En fait, la GRA permet à toute personne de télécharger et de remplir un formulaire A4, de le faire authentifier par un notaire, et de devenir, à toutes fins utiles, légalement du sexe « opposé ».
L’absence de tout contrôle signifie que tout homme – qu’il s’agisse d’un violeur, d’un pédophile, d’un voyeur ou de tout autre type de pervers sexuel – peut obtenir un certificat de reconnaissance de genre (CRG) qui lui permet d’accéder à tous les espaces réservés aux femmes. Cela inclut : les services hospitaliers, les vestiaires, les prisons, les refuges pour victimes de violence domestique, les cliniques traitant les victimes d’agressions sexuelles, etc. Il n’y a littéralement aucune limite. De plus, le « sexe » n’est pas une « caractéristique protégée » spécifique en vertu de la législation irlandaise sur l’égalité – le « genre » l’est, ce qui rend toute défense du droit des femmes à des installations non mixtes encore plus difficile.
À cause de l’auto-identification, tout délinquant sexuel masculin violent peut légalement s’identifier comme une femme et demander à être emprisonné avec des femmes vulnérables en Irlande. Cela s’est déjà produit. Un homme accusé de dix chefs d’accusation de délits sexuels a été conduit directement du palais de justice au quartier des femmes de la prison Mountjoy de Dublin. Un autre jeune homme violent – dont le rapport du tribunal indique que l’expert de la clinique du genre Tavistock ne pensait pas qu’il souffrait de dysphorie de genre – a été autorisé à obtenir un GRC alors qu’il était pris en charge par l’État en tant que délinquant violent, et a été incarcéré dans la prison pour femmes de Limerick. Sa propre mère a dû traverser le pays pour s’installer dans un endroit secret afin de lui échapper, tant ses intentions meurtrières étaient sérieuses et entièrement tournées vers les femmes. Le public irlandais, lui, a été abreuvé d’une histoire que la presse grand public titrait « la tueuse d’Irlande ». Il va sans dire que la sécurité, la santé et le bien-être des femmes emprisonnées – dont la plupart, sinon toutes, ont été victimes d’abus sexuels et violents – sont totalement ignorés. La terrible histoire de l’Irlande en matière d’abus sur les femmes incarcérées se perpétue, mais cette fois au nom de la « nouvelle religion » plutôt que de l’ancienne.
MM : L’IWL organise prochainement un événement en ligne, le 29 avril 2021, intitulé » Speak Up For Free Speech « . Pouvez-vous me parler de cet événement et me dire pourquoi vous avez estimé qu’il était important d’organiser un événement portant spécifiquement sur la liberté d’expression ?
IWL : La question de la liberté d’expression est devenue très urgente, à la fois ici en Irlande et dans tout le Nord, alors que des lois sont rédigées et promulguées pour étendre les « crimes de haine » aux « discours de haine ». Partout où cette législation est promulguée, elle restreint notre droit à la liberté d’expression de manière nuisible et dangereuse. Les femmes risquent d’être accusées de crime haineux pour avoir énoncé des faits biologiques, ou même pour avoir « mégenré » quelqu’un. Si ce projet de loi est adopté, le National Women’s Council of Ireland et Amnesty International n’auront pas besoin de signer une pétition demandant la suppression de notre droit à la représentation politique et médiatique, car celles d’entre nous qui « défendent la biologie » seront déjà réduites au silence par la loi.
Parmi les nombreux problèmes urgents auxquels sont confrontées les femmes et les filles, la question de la liberté d’expression est absolument cruciale – si nous n’avons pas le droit de dire que les femmes ont droit à des espaces non mixtes, comment diable pouvons-nous défendre notre droit à ces espaces ?
Nous pensons que le timing de ce webinaire est absolument parfait – nous accueillons Iseult White, qui discutera de la liberté d’expression et de la « cancel culture » ici en Irlande ; Lisa Mackenzie, qui parlera de l’expérience écossaise, et bien sûr, nous sommes vraiment impatients de vous entendre parler de ce que les femmes d’Amérique du Nord ont dû affronter également.
Meghan Murphy
Traduction : DGR France