Une deuxième tendance prônée et adoptée par de nombreux écologistes est celle des « petits gestes ». Cette croyance laisse penser que si chacun changeait un certain nombre d’habitudes personnelles (recycler, réutiliser, manger végétarien ou vegan, rouler à vélo, privilégier les circuits courts, etc.), le problème écologique serait résolu lorsque des dizaines de millions de consommateurs adopteront des comportements similaires.
Bien évidemment le fait de ne plus -ou de moins- participer à l’immense gaspillage dont la civilisation occidentale (qui s’est déployée jusqu’à devenir mondialisée) s’est rendue coupable durant plusieurs dizaines d’années est un objectif non seulement louable mais aussi indispensable. Les gestes individuels quotidiens permettant d’être moins voraces ont aussi l’avantage d’intégrer la prise de conscience selon laquelle les ressources offertes par la Terre (et vendues par les industriels) ne sont pas infinies.
La transformation d’un mode de vie insouciant pour adopter un comportement qui impose à chaque individu des restrictions ou des contraintes librement consenties représente déjà un changement considérable. Il permet notamment de se libérer d’une forme d’addiction que le libéralisme a infligé en nous faisant croire que l’accès à un certain niveau de vie devenait une source inépuisable de plaisirs.
« Si tu veux (gagner de l’argent), tu peux (faire tout ce que tu veux) ». Ce genre de croyance est non seulement socialement destructeur, mais détermine une consommation de masse irresponsable qui correspond aux objectifs de l’économie capitaliste. Ce raisonnement est d’autant plus difficile à combattre qu’il a été efficace durant plusieurs décennies. Les personnes les plus conscientes s’aperçoivent à présent que cette conviction est devenue fausse car les ressources de la planète se raréfient et ne permettent en aucun cas de soutenir durablement une telle voracité.
Ces prises de consciences doivent cependant aller plus loin : la décroissance est nécessaire mais pas suffisante, et cela pour plusieurs raisons.
- Les gains en ressources économisées par les « petits gestes » seront réemployés pour fabriquer d’autres objets de consommation en créant de nouveaux besoins. L’humanité a pu se développer durant des centaines de milliers d’années sans téléphone portable. Et de plus en plus, lorsqu’un téléphone portable ne fonctionne plus, certains se sentent comme amputés d’une extension d’eux-mêmes, ou encore agissent comme des drogués en manque, ou même développent des pathologies qui nécessitent la prescription de médicaments.
- L’exemple des douches courtes est lui aussi particulièrement significatif. (1)
- L’incidence des « petits gestes » individuels sur le fonctionnement général de la civilisation industrielle, bien que non négligeable, reste minime. Le film d’Al Gore, « Une vérité qui dérange » propose par exemple en ensemble de petits gestes pour réduire ses émissions de CO2. Si chaque américain appliquait l’ensemble de ces restrictions, la production de CO2 des Etats-Unis ne baisserait que de 22 %. Toujours aux Etats Unis, les déchets individuels représentent seulement 3 % de l’ensemble des déchets produits. L’irrigation des quelque 730 golfs français équivaut à la consommation annuelle de 8 millions d’habitants. (2) La consommation moyenne d’eau d’un français est actuellement de 148 litres par habitant et par jour. Au XVIIIème siècle, elle était en moyenne de 15 à 20 litres par habitant.
- En adoptant la seule décroissance comme moyen de lutte, nous nous limitons à être des consommateurs, à savoir des acteurs circonscrits dans le champ économique qui nous est imposé par le capitalisme.
- Avec la politique des « petits gestes », le pouvoir capitaliste réussit à renverser la charge de la responsabilité sur chaque personne, en individualisant la culpabilité. C’est donc chaque individu qui est responsable de la déforestation de l’Amazonie en mangeant des steacks hachés. A chacun de se débrouiller avec sa conscience. Ce point de vue est cependant très partiel, car il s’agit pour le système capitaliste de dissoudre les responsabilités, ce qui revient à s’en exonérer impunément.
- Enfin, porter l’attention sur la seule décroissance empêche de remettre en cause les fondements même du capitalisme, de la société marchande mondialisée, de la civilisation industrielle. Il faut reconnaître politiquement que le système industriel et capitaliste est fondamentalement destructeur.
Agir depuis l’intérieur du système en suivant ses règles de fonctionnement est nécessairement voué à l’échec car on devient soi-même une partie de ce mécanisme destructeur. Lorsqu’une maladie nous ravage, lutter contre les symptômes ne suffit pas, il faut l’éradiquer. D
- https://www.partage-le.com/2015/03/oubliez-les-douches-courtes-derrick-jensen/
- Les golfs et l’eau (annexe 29 d’un rapport du Sénat sur l’eau). https://www.senat.fr/rap/l02-215-2/l02-215-225.html