F.A.Q.
Deep Green Resistance adhère-t-elle aux thèses (néo)malthusiennes ?
Le malthusianisme est une doctrine politique prônant la restriction démographique, inspirée par les travaux de l’économiste et prêtre anglican Thomas Malthus (1766-1834. Celui-ci s’intéresse aux liens entre les dynamiques de croissance de la population et la production. Sa principale idée est que la population (en tout cas de nos sociétés civilisées fondées sur un mode de vie sédentaire permis grâce à l’agriculture) tend à croître plus rapidement que les ressources jusqu’à ce qu’interviennent des freins ou des limites à cette croissance. L’idée de limites terrestres en fonction d’un système socio-technique donné est logique et concorde avec celle qu’une croissance infinie dans un monde fini ne peut continuer indéfiniment. Si Deep Green Resistance France est en accord avec ce premier constat, elle s’oppose aux mesures politiques souhaitées par Malthus, c’est-à-dire des actions visant à imposer un contrôle des naissances notamment aux populations les plus pauvres. De même, la vision malthusienne d’une société hiérarchique et coercitive est contraire à la nôtre qui s’inscrit dans la recherche d’une véritable démocratie directe fondée sur une organisation égalitaire des rapports sociaux. Nous portons davantage notre critique sur le mode de vie des sociétés anciennement industrialisées et leur effet délétère sur les milieux naturels et la vie de milliards d’être vivants humains et non-humains. A titre de comparaison, un Américain moyen consomme 32 fois plus de ressources et d’énergie qu’un Kenyan moyen et les 1% les plus riches de la planète accaparent 50% des richesses produites tandis que la moitié la plus pauvre doit se contenter de 1%. Même si des débats existent sur le nombre d’êtres humains que la planète peut accueillir de manière soutenable, c’est bien le mode de vie qui constitue la principale cause de l’écocide et de l’ethnocide qui se déroulent depuis des siècles et même des millénaires et qui connaissent une accélération sans précédent depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Le démantèlement de la civilisation industrielle vise à mettre fin à cette société inégalitaire et mortifère, déconnectée des autres êtres vivants non-humains et les considérant comme une simple ressource à exploiter en se plaçant au sommet du vivant au lieu de se penser et de vivre comme un être faisant partie d’un vaste, riche et complexe écosystème terrestre.
Nous sommes actuellement plus de 7,5 milliards d’êtres humains et nous pourrions être plus de 9 milliards en 2050. Quelle est votre position concernant ces évolutions démographiques ?
Il est évident que l’espèce humaine connaît une croissance démographique inédite depuis maintenant plus d’un siècle. Comme l’ont montré de nombreuses recherches ainsi que la situation que connaissent des centaines de millions de personne dans le monde, nos modes de vie conjugués à cette tendance nous amènent à terme vers une désorganisation générale de la civilisation industrielle telle que nous la connaissons actuellement. L’Histoire l’a aussi montré, lorsque les ressources viennent à manquer – situation qui arrivera sans aucun doute si la civilisation industrielle poursuit son développement – de multiples bouleversements sont subis par les populations qui en dépendent et affectent davantage les plus pauvres. En plus de ne pas pouvoir résoudre cette situation par les moyens technologiques faute de ressources, la situation démographique future sera aggravée par les changements globaux comme le dérèglement climatique, la montée du niveau des océans, l’intensification et la multiplication des aléas climatiques (ouragans, sécheresse, etc.). Pour autant, aucune « solution » avancée ne saurait se faire aux dépens des populations les plus pauvres, de la liberté individuelle ou même prendre la forme de visions et d’actions racistes au motif que les pays connaissant une croissance démographique élevée se trouvent en Afrique et en Asie du Sud et de l’Est. Étant donné que les pays riches sont ceux qui consomment le plus de ressources et d’énergie, c’est la capacité des riches à voler aux pauvres que nous devons affronter et arrêter. A partir de là, ce n’est pas tant réduire la population humaine mais sa consommation qui doit constituer l’objectif central de tout mouvement social et écologique radical et cela passe par le démantèlement de la civilisation industrielle destructrice des communautés vivantes par l’extraction, l’acheminement, la transformation et la consommation de plus de 70 milliards de tonnes de matériaux fossiles par an . Et ces inégalités de consommation de ressources et d’énergie atteignent des niveaux vertigineux avec des populations parmi les plus pauvres qui sont victimes des pollutions et des dérèglements climatiques dont elles ne sont pas responsables. Yves-Marie Abraham l’explique assez bien quand il dit que « le salut de l’espèce humaine ne passe donc pas par une réduction du nombre d’humains sur Terre mais plutôt par l’avènement de sociétés réellement humaines. C’est avant tout d’un surcroît d’humanité dont nous avons besoin. Pour ce faire, il faut commencer par abattre le capitalisme, ce qui réclame du courage bien sûr, mais aussi beaucoup de précautions. »
Que pense Deep Green Resistance France des conséquences de la fin de la civilisation industrielle sur les personnes nécessitant des soins complexes ? Promouvoir le démantèlement de la civilisation industrielle ne constitue-t-il pas une forme de validisme ?
Le validisme est une forme de discrimination, de préjugé ou de traitement défavorable contre les personnes vivant un handicap (paraplégie, tétraplégie, amputation, malformation mais aussi dyspraxie, schizophrénie, autisme, etc). L’objectif de Deep Green Resistance France est le démantèlement de la civilisation industrielle qui engendre une destruction généralisée du vivant, participe au délitement des rapports sociaux tout en n’étant pas soutenable à long terme. Or, une grande partie de la médecine actuelle dépend de cette civilisation industrielle et les soins qu’elle procure ne seront donc plus accessibles, ce qui aura des conséquences pour de nombreuses personnes. C’est à partir de ce constat que l’accusation de validisme arrive sans nulle compréhension du fonctionnement et des implications du système socio-technique autoritaire, hiérarchique et biocidaire auquel il faut mettre fin le plus rapidement possible. Il est assez fréquent d’entendre qu’il serait possible de « conserver le meilleur de ce que la civilisation nous a permis de développer » et notamment ces moyens médicaux industriels (la chirurgie, les IRM, la recherche scientifique, etc.) tout en préservant au mieux le monde naturel. Ces appareils et autres outils sont le produit d’une « mégamachine » qui fonctionne grâce à des hautes technologies dépendantes de l’extractivisme, pillage de matières premières détruisant des écosystèmes entiers ainsi que le milieu de vie et la culture de milliers de communautés humaines ne bénéficiant pas de ce soi-disant progrès technique.
Il existe une interdépendance entre tous les éléments de ce système technicien qui implique une organisation de la vie sociale, du travail et de l’espace à l’origine d’une aliénation générale et de l’exploitation de l’être humain par l’être humain.
Parmi les différentes formes de handicap qui existent, un grand nombre ne nécessite pas de soins médicalisés mais bien d’un surcroît de solidarité. Malgré toutes les politiques dites inclusives visant à offrir une autonomie aux personnes souffrant d’un handicap, notre société actuelle n’en demeure pas moins hautement validiste avec une discrimination systémique à l’égard de ces personnes. Des sociétés moins complexes avec un mode de vie fondé sur de petites communautés humaines permettent de prendre davantage soin les uns des autres ainsi que de prendre conscience de l’interdépendance totale entre tous les êtres vivants. Nous l’oublions souvent dans nos sociétés de masse fonctionnant grâce à un lourd système technicien mais chacun d’entre nous dépend des autres pour survivre.
Des façons de soigner alternatives qui nécessitent peu de moyens comme on peut en trouver chez divers peuples permettent de retrouver une hygiène et un mode de vie beaucoup plus sains ainsi qu’éviter et favoriser la guérison des blessures et maladies les plus graves. Il faut aussi comprendre qu’une grande partie de ces maladies et des blessures qui existent actuellement sont le fruit de cette civilisation industrielle et de son mode de vie : stress, dépression, diabète, asthme, allergies, maladies cardio-vasculaires, cancer, obésité, schizophrénie et autres troubles mentaux, etc. qui prennent des proportions épidémiques et qui sont qualifiées à juste titre de maladies de civilisation. La véritable question à se poser porte sur la nécessité d’arrêter les causes directes de ces désastres plutôt que de continuer à soigner les conséquences, les symptômes jusqu’à l’effondrement inéluctable du système socio-technique qui nous maintient temporairement en vie. Ce n’est pas seulement un mode de vie mais tout un rapport au monde qu’il faut changer et surtout comprendre que ce qui est présenté comme un progrès n’est qu’un mirage, une foi séculaire qui a des conséquences mortifères sur les milliards d’êtres vivants humains et non-humains qui meurent chaque année à cause de cette civilisation industrielle. Au sein même de DGR, plusieurs membres et sympathisants sont en situation de handicap et dépendent de ce système industriel pour se maintenir en vie et malgré cela, n’en restent pas moins critiques envers ce système mortifère en souhaitant son démantèlement.
Deep Green Resistance France est-elle eugéniste ?
L’eugénisme peut être désigné comme « l’ensemble des méthodes et pratiques visant à améliorer le patrimoine génétique de l’espèce humaine ». Aucun des membres ni des éléments de l’analyse de Deep Green Resistance France n’ont porté de tels objectifs. Cette accusation est souvent liée à celle de validisme et s’appuie sur la critique de la civilisation industrielle et les conséquences que son démantèlement pourrait engendrer. Il n’est pas question de sélectionner des personnes dignes de vivre ou de mourir suivant des méthodes et pratiques pour améliorer le patrimoine génétique de l’espèce humaine par l’action délibérée d’une organisation supérieure comme l’État. L’objectif et la stratégie promus par DGR France se trouvent bien aux antipodes de cette vision eugéniste : ils visent à retrouver une autonomie et un mode de vie soutenable d’un point de vue écologique par l’adoption de techniques démocratiques comme le suggéraient Lewis Mumford avec des « méthodes de production à petite échelle, reposant principalement sur les compétences humaines et l’énergie renouvelable, faisant un usage limité des ressources naturelles ». Les êtres humains ont vécu pendant des millénaires sans industries et systèmes médicaux de pointe et ça ne faisait pas d’eux des eugénistes.
Vous critiquez assez souvent le dogme de la non-violence en promouvant des actions directes destructrices de l’infrastructure qui fait fonctionner la civilisation industrielle. La violence n’est-elle pas précisément ce qu’il faut détruire pour gagner ?
Deep Green Resistance France s’oppose clairement à toute agression envers un être vivant humain ou non-humain, action qui va à l’encontre des principes et valeurs qu’elle défend. Au contraire de nombreuses organisations écologistes, elle n’adopte pas une position dogmatique sur la violence. En effet, celle-ci ne doit pas être considérée comme un absolu à éviter dans les luttes sociales et environnementales. Déjà, il faut préciser qu’il existe plusieurs définitions de la violence qui peut inclure ou non les dégâts infligés à des biens matériels. Il faut bien comprendre que la civilisation industrielle et le mode de vie qu’elle génère entraîne une violence omniprésente et structurelle qui imprègne l’ensemble de la société de manière diffuse. Dans ce cadre, il existe un monopole de la violence légitime détenu par l’État considéré comme garant de la pacification sociale qui constitue en réalité une domestication générale par la coercition. L’usage de la force n’est certes pas souhaitable mais face à cette ultra-violence déployée dans l’extermination de 200 espèces vivantes chaque jour, la destruction des communautés autochtones, l’exploitation des êtres humains à travers le monde, le pillage de territoires entiers, il devient nécessaire d’adopter des tactiques offensives pour pouvoir arrêter les désastres sociaux et écologiques en cours. L’usage de la force contre l’infrastructure de la civilisation industrielle ne constitue que l’un des modes d’action parmi la diversité des tactiques qui doivent être mobilisées pour empêcher à ce système socio-technique de nuire au vivant. C’est toute cette division des actions suivant leur caractère violent / non-violent qu’il faut remettre en cause et la remplacer par un questionnement sur leur légitimité, leur efficacité au regard de l’urgence de la situation actuelle.
L’évèque brésilien Hélder Pessoa Câmara (1909-1999) connu pour sa lutte contre la pauvreté avait très bien résumé cette question de la violence dans une citation restée célèbre :
« Il y a trois sortes de violence. La première, mère de toutes les autres, est la violence institutionnelle, celle qui légalise et perpétue les dominations, les oppressions et les exploitations, celle qui écrase et lamine des millions d’hommes dans ses rouages silencieux et bien huilés. La seconde est la violence révolutionnaire, qui naît de la volonté d’abolir la première. La troisième est la violence répressive, qui a pour objet d’étouffer la seconde en se faisant l’auxiliaire et la complice de la première violence, celle qui engendre toutes les autres.Il n’y a pas de pire hypocrisie de n’appeler violence que la seconde, en feignant d’oublier la première, qui la fait naître, et la troisième qui la tue. »
N’est-ce pas hypocrite de promouvoir le démantèlement de la civilisation industrielle sans y prendre part ?
Lorsque l’on évoque les actions nécessaires à l’organisation d’un mouvement de résistance capable de lutter efficacement contre la civilisation industrielle, il est fréquent de rechercher un changement rapide voire immédiatement visible. La critique émise à l’égard de Deep Green Resistance France porte sur son absence d’implication dans des actions directes contre l’infrastructure de la civilisation industrielle. Cela vient d’une mauvaise compréhension et appréhension des risques inhérents à ces actions et les poursuites judiciaires encourues suite à leur réalisation. En tant qu’organisation produisant une analyse de la situation actuelle, DGR France participe à la diffusion d’une pensée s’opposant à la civilisation industrielle et promeut des actions stratégiques efficaces pour y mettre fin et ainsi préserver les millions d’espèces vivantes qui peuplent la Terre. Les conséquences de ces changements souhaités sont tels qu’ils portent une subversivité condamnée par les institutions organisant la destruction généralisée du vivant. A partir de là, un ensemble de pratiques et d’attitudes doivent être systématiquement mis en place pour se protéger de la répression étatique. La séparation en deux du mouvement de résistance social et écologique radical fait partie de cette culture de la sécurité avec une absence de relations entre les deux ensembles visant à éviter de mettre en danger une organisation clandestine qui se formerait. Ce partage qui constitue un pare-feu protecteur permet de limiter le risque d’infiltration d’un mouvement de résistance suite à la surveillance d’une personne qui en ferait partie. Le discours porté par les membres de DGR étant susceptible de les placer dans cette situation, leur absence d’implication dans une organisation clandestine concourt à son efficacité potentielle. Ces règles de sécurité sont d’autant plus importantes qu’il existe une criminalisation croissante des luttes sociales et environnementales avec un déploiement de dispositifs de surveillance contemporains ciblant davantage les militants radicaux.