La ZAD du triangle de Gonesse
Sur un terrain a priori abandonné, protégé par des palissades et des tranchées, dressées avant l’installation pour empêcher les gens du voyage de s’y installer, s’est mobilisée une communauté pour défendre des terres du béton. Au début il faisait froid, c’était ardu. Aujourd’hui, un dimanche ensoleillé, l’air printanier est rythmé par les coups de marteau sur les planches de bois qui forment les cabanes qu’on inaugure une à une. Bienvenue sur la ZAD du Triangle de Gonesse ! Ayant guetté l’arrivée de la voiture, un jeune homme au brassard réfléchissant perché sur la hune du camp descend nous aider à décharger notre humble cargaison de ravitaillement : palettes, bouteilles d’eau, rondins de bois, chaussettes, chaussures. Les portes en tôle s’ouvrent pour nous laisser pénétrer : sur ces terres fertiles proches de Paris, une gare de métro ainsi qu’un quartier d’affaires sont en projet de construction. Une gare de métro en plein champ ! comme si la promiscuité avec les autoroutes A1, A3 et A104, les routes départementales D107, D317 et D902, les aéroports Paris – Charles de Gaulle et Paris – Le Bourget, ainsi qu’avec la zone commerciale de Villepinte où trône un gigantesque magasin Ikea, n’était pas déjà largement outrancière. En entrant sur le site, ce qui me frappe le plus c’est l’omniprésence de slogans, de textes, de dessins et d’autres symboles. C’est bien une lutte idéologique qui se déroule ici. D’un côté, la Société du Grand Paris (SGP) et consorts qui sont prêts à tout pour créer de l’emploi et de la croissance, au mépris de la vie dont regorge ces sols et du bien-être des personnes concernées par ce projet, ces travailleurs qui devraient se réjouir d’aller travailler dans un quartier d’affaires aseptisé ou d’optimiser leur trajet pour aller travailler à l’aéroport, la conscience tranquille de ne plus avoir à conduire leur voiture parce que l’auto c’est polluant. De l’autre, celui plus terre-à-terre des zadistes pour lesquels la religion de croissance est une hérésie et pour lesquels il est primordial de devenir plus autonome en apprenant à vivre en harmonie au sein du monde vivant. Cela fait deux semaines que la ZAD s’est installée sur ce terrain qui jouxte les champs et, déjà, plusieurs cabanes ont été construites. Il y a une cuisine, des dortoirs, un saloon, une bibliothèque-ressourcerie, une salle de réunion, des toilettes, une salle de douche, un anti-musée… Alors que les avions continuent de défiler bruyamment au dessus de nos têtes, plusieurs personnes s’activent en cuisine et sur les différents chantiers. Depuis la veille, une cabane est en cours de construction, ce sera un nouveau dortoir.
Avec un camarade, nous décidons de rejoindre le chantier. Rapidement, je comprends qu’il n’y a pas de chef et que c’est en observant les autres qu’on comprend ce qu’il faut faire, en l’occurrence clouer des planches de bois pour boucher les trous.
Alors que je suis en quête de clous, un voisin me hèle à travers un des grillages qui délimite la ZAD d’un parking à caravanes où habite une communauté de gens du voyage. J’accepte évidemment la palette qu’il me propose et qu’il me fait parvenir en me l’envoyant par dessus le grillage. Vu son enthousiasme, les zadistes doivent lui être sympathique. Les volontaires sont nombreux et le chantier avance vite, si bien que l’après-midi même, après un plaisir non-dissimulé de colmatage à la main des derniers trous avec de l’argile, la cabane est fin prête !
Au moment de quitter les lieux, le sentiment qui me vient est le même avec lequel je suis arrivé. Les gammes de couleurs, les formes des bâtiments, les motivations des personnes présentes, les générations… tout ici est hétéroclite, pas vraiment classable.
Et c’est peut-être bien ça qui est le plus insupportable aux égos surdimensionnées des politiciens, bureaucrates et industriels fanatiques du progrès.