Une analyse critique de la stratégie du choc de…
Ross Carter propose une relecture critique de la Stratégie du Choc de Naomi Klein. Il enrichit l’évaluation de la situation par Naomi en y ajoutant une analyse selon les perspectives de DGR.
Par Ross Carter
Profiter de la crise pour s’enrichir
Dans son livre, la Stratégie du Choc, Naomi Klein détaille un trope particulier du capitalisme moderne. Celui d’utiliser et/ou de créer des chocs et des désastres pour faire avancer son programme. Comme la majorité de la littérature libérale, ce livre m’a laissé avec plus de questions que de réponses. Par exemple, le capitalisme est-il le seul à utiliser les crises pour progresser ? La vie était-elle extraordinaire avant l’avènement du capitalisme néo-libéral ? Les discussions sur les différentes nuances de la civilisation sont-elles une perte de temps ? Tout ce livre est-il une distraction ? Bien que parfois frustrante et limitée dans sa vision des choses, l’histoire décrite dans ce livre a encore beaucoup à offrir.
Le traumatisme traumatisé
Une chose que je retiens de ce livre est que le capitalisme moderne est en fait la civilisation qui tente de continuer de fonctionner et de se maintenir, alors que tout (les écosystèmes et les structures sociales) s’effondre autour d’elle. En raison de l’engagement aveugle de Naomi envers les Démocrates et le libéralisme, ce livre ne serait pas une lecture incontournable sans une légère prise de conscience de l’histoire de la civilisation, en particulier de la façon dont elle a toujours été dépendante de la guerre, de la colonisation, du contrôle des populations (structure sociale, esclavage, police, médias, religion et droit, etc) et de l’expansion territoriale et technologique, pour maintenir une emprise sur l’humanité et la planète. La civilisation s’est également toujours nourrie des catastrophes. On le voit clairement dans le fait que, bien que certaines formes de la civilisation se soient effondrées par le passé, ce qui constitue des catastrophes en soi, la civilisation elle-même a continué à se répandre sur la planète en dévorant la faune et la flore sauvage, y compris les peuples autochtones, sur son passage.
L’histoire que raconte Naomi n’est pas une histoire isolée, c’est une histoire qui se déroule sous une forme ou sous une autre depuis que la civilisation existe. La logique de la civilisation est de se protéger à tout prix, et cette logique se poursuit sans relâche. Sans une analyse plus approfondie, vous êtes bloqué dans la perspective limitée que si seulement nous pouvions nous débarrasser de ces horribles capitalistes, alors tout irait bien. C’est une simplification excessive et naïve des problèmes auxquels nous sommes confrontés. Elle ignore le meurtre en cours de la planète par la civilisation industrielle.
Ce livre ignore le désespoir passif, le traumatisme mental, l’angoisse et le chagrin avec lesquels l’humanité, dans son ensemble, vit actuellement
Il faut le dire encore et encore. La terre sur laquelle l’Irak se trouve actuellement a été pillée et détruite par la civilisation il y a environ 10 000 ans. La langue dans laquelle j’écris, dit-on, est issue des langues du Moyen-Orient de ce temps. La Stratégie du Choc s’inscrit dans un continuum. Nous, les civilisés, faisons les mêmes choses maintenant que les peuples civilisés faisaient il y a 10 000 ans. Passer du capitalisme néo-libéral à un capitalisme plus social, remplacer les puits de pétrole par des mines de lithium et de métaux rares (pour les technologies « vertes »), ne changera rien. Le Choc continuera jusqu’à ce que nous fassions quelque chose pour régler le problème de fond, la civilisation elle-même. Ou jusqu’à ce que la civilisation sombre inéluctablement vers ce qui ressemble à un suicide collectif. La disparition presque complète de la vie sur cette planète.
« Je ne pense pas que toutes les formes de marché soient intrinsèquement violentes » (page 20)
Le processus de Choc que Naomi définit et identifie est une continuation du colonialisme. C’est l’hyper-colonialisme. C’est la confirmation par ceux qui dirigent qu’ils sont au pouvoir et qu’ils sont prêts à tout pour y rester. C’est une couche supplémentaire de colonialisme. Et donc une couche supplémentaire de traumatisme et de destruction. La compétition est au cœur de toutes les relations civilisées et de la psyché civilisée elle-même. Elle est au cœur des sociétés agricoles qui se battent entre elles et contre la nature sauvage afin d’avoir l’espace nécessaire pour défricher et croître. Elle est au cœur de la civilisation moderne dans tous ses enseignements et tout ce qu’elle prône. On nous dit que la compétition est naturelle et bénéfique. Il semble que nous ayons oublié ce qui est naturel et bon. Nous n’avons pas connu d’autre voie. Nous sommes des conquérants et des dominateurs. Des preneurs. Nous ne savons pas ce que c’est que d’être des êtres humains, seulement des êtres humains qui font la guerre. Cela est évident dans le livre de Naomi.
Du Chili à l’Irak en passant par la Nouvelle-Orléans. La seule direction que nous pouvons prendre est celle de l’augmentation des niveaux de contrôle et de domination. Si nous ne changeons pas cette mentalité, nous continuerons indéfiniment sur cette voie. La civilisation peut revêtir une façade de démocratie ou de libéralisme, mais ça n’est rien de plus. Une façade. L’égalité et la coopération ne sont pas possibles dans la civilisation. Elles sont en contradiction directe avec ses besoins intrinsèques d’expansion et de contrôle.
Changer cet état d’esprit est une tâche profonde et difficile, mais c’est la seule qui fera une différence à long terme
Un gouvernement de gauche et des panneaux solaires ne vont pas suffire. Tout comme les changements de chefs et l’accroissement de la technologie n’ont jamais fait de différence auparavant. Ils n’ont fait qu’accroître et accélérer l’expansion et le contrôle de la civilisation. Il n’y a pas de solution simple ni de messie. Notre besoin désespéré de contrôler et de dominer depuis la Maison Blanche, jusqu’à notre famille nucléaire patriarcale, provient du même endroit. Le traumatisme culturel de masse. Comme le souligne Naomi, un individu brisé est facile à manipuler et à contrôler. Et nous avons tous été brisés par la civilisation. Nous avons été traumatisés dès l’utérus. Nous sommes traumatisés de naissance. Nous sommes nés avec un traumatisme générationnel. Nous sommes traumatisés au sein de nos familles et de nos structures sociales dysfonctionnelles. Nous sommes traumatisés par notre « éducation ». Nous sommes traumatisés par les cases dans lesquelles nous sommes forcés de rentrer et les masques que nous devons porter. Nous sommes traumatisés par la pollution, par la nourriture, par les technologies. Etc. Etc.
L’esprit traumatisé est un esprit de guerre et de compétition. Il ne peut pas être satisfait. La civilisation nous transforme et nous rend autres. Elle nous transforme en objets et en rôles. Esclave, fermier, chef, femme, mari, etc. Ceci est le Choc. Le choc que Naomi définit est une histoire intéressante et qui vaut la peine d’être entendue, mais ce n »est aussi qu’un complément, et comme toute analyse de gauche, elle ignore ou nie le reste du livre. Elle ignore ce qui a conduit à ce complément. Si nous continuons à ne pas voir comment la violence et (notre propre) traumatisme et le choc font partie intégrante de la création et du maintien de la civilisation, et pas seulement du capitalisme néo-libéral, alors nos solutions et nos actions, comme toutes les solutions gauchistes/libérales, ne seront d’aucune utilité face à l’ensemble du meurtre et de l’asservissement de la planète et de TOUTE la vie sur celle-ci par la civilisation.
Notre aveuglement face à la réalité est lié à notre traumatisme de masse, perpétué par notre système éducatif et nos médias
Les médias sont les maîtres du Choc. Naomi explique comment l’armée a ciblé certaines industries en Irak afin d’accroître le choc pour la population. La prise de contrôle des médias était tout aussi importante, elle assure le contrôle des histoires racontées au peuple irakien. Les médias rendent passifs en aliénant les populations, en suscitant la peur, et tout simplement en mentant ou en dissimulant la vérité. Il est assez amusant, mais aussi triste, de constater que Naomi, et tous ses autres copains libéraux, souffrent des mêmes symptômes qu’elle définit elle-même. Celui d’un oubli. D’une amnésie culturelle. Un reconditionnement, un lavage de cerveau (appelons-le comme ça). N’oublions pas que les libéraux sont aussi traumatisés.
Il suffit de se saisir de quelques bases de l’histoire de la civilisation pour réaliser que, depuis sa création, elle repose essentiellement sur l’esclavage (par le fouet ou par le contrôle économique et culturel), le génocide, l’écocide et la colonisation. Mais cela est complètement ignoré. Pourquoi ? Pourquoi les libéraux continuent-ils à prêcher et à croire en ces mêmes choses qui les oppriment ? Le Green New Deal et les Démocrates ne vont pas supprimer le choc que le fait de vivre des vies sacrifiées sur une planète sacrifiée nous fait subir en permanence. Pourtant, ils sont vénérés. Comment avez-vous pu lire ce livre de 533 pages, pendant votre pause au bureau, ou assis dans votre appartement en ville, le bruit des sirènes et des voitures qui bourdonnent autour de vous, l’odeur de la pollution de l’air, l’absence de faune et de flore, sur la façon dont le capitalisme utilise le choc pour faire avancer son programme, et ne pas reconnaître le choc, tout autour de vous et en vous ? La réponse évidente est que les libéraux ont eux-mêmes été choqués.
Nous avons tous été choqués.
Dans cet état de perdition et de déconnexion, nous sommes tous susceptibles de trouver des solutions faciles grâce aux religions, aux gourous, aux démagogues et aux techno-solutions. Nous sommes tous malléables. Les gens ne cèdent pas volontairement leur pouvoir et leur autonomie à la civilisation, à moins qu’ils n’aient d’abord été brisés en tant qu’humain et reconstruits en tant que citoyen. Nous ne pourrons vraiment penser avec clarté, et nous relier les uns aux autres et à la terre, qu’une fois que nous nous serons débarrassés des mythes que la civilisation nous impose. Une fois que nous, en tant qu’individus et communautés, aurons détruit la civilisation en tant que concept et système physique. Car ce n’est qu’au-delà de la civilisation que nous pouvons réellement être libérés du choc continu et du désastre perpétuel.