Confessions d’une ex-pourriture de flic

Confessions d’une ex-pourriture de flic

Ce texte a été rédigé de manière anonyme par un ancien policier Californien et publié à l’origine le 6 juin 2020 en réponse aux récentes violences policières aux USA.

« J’ai été officier de police pendant près de dix ans et j’étais une pourriture. Nous en étions tous. »
Cet écrit me trotte dans la tête depuis maintenant des années et je ne me suis jamais senti assez confiant pour l’écrire. C’est un moment de ma vie dont j’ai honte. C’est une époque à laquelle j’ai blessé des gens et à laquelle, par mon inaction, j’ai permis que d’autres soient blessés. C’est une époque où j’ai agi comme un agent violent du capitalisme et de la suprématie blanche.
Sous le couvert de la sécurité publique, j’ai personnellement ruiné la vie de nombreuses personnes sans pour autant avoir rendu l’espace public plus sûr… tout comme les membres de ma famille et mes amis proches qui portaient également l’insigne à mes côtés. Désormais, la coupe est pleine.
Les réformes ne fonctionnent pas. Les petits pas ne mènent à rien. Des Noirs, des indigènes et des personnes de couleur non armées sont tuées par les flics dans les rues et la police attaque brutalement les personnes qui protestent contre ces meurtres.
La police américaine est une épaisse tumeur bleue qui étouffe la vie de nos communautés et si vous n’y croyez pas lorsque les pauvres et les marginaux le disent, si vous n’y croyez pas lorsque vous voyez des flics tirer sur des journalistes avec des balles en caoutchouc et des gazs toxiques dans tout le pays, peut-être y croirez-vous lorsque vous l’entendrez directement de la bouche du porc.

POURQUOI J’ÉCRIS CECI.

Ayant suivi la formation, l’embauche et la socialisation d’une carrière dans les forces de l’ordre, j’ai voulu donner un témoignage de choix sur les raisons pour lesquelles je crois que les policiers sont comme ils sont. Non pas pour excuser leur comportement, mais pour l’expliquer et dénoncer les structures qui le perpétuent. Je pense que si tout le monde comprenait comment nous sommes formés et formatés dans la profession, cela permettrait de faire connaître les exigences que nos sociétés devraient formuler en matière de sécurité. Si je vous dis comment nous avons été créés, j’espère que cela vous donnera le pouvoir de nous défaire.
Une des raisons pour lesquelles j’ai eu du mal à écrire ce texte est que je ne veux pas centrer la conversation sur moi et sur mes tristes regrets. C’est une pulsion blanche toxique que de voir des atrocités et de se demander « Comment puis-je faire en sorte que cela tourne autour de moi ? ». J’espère donc que vous me croirez sur parole en disant que ce récit n’a pas pour but de me mettre en valeur, mais plutôt de pointer du doigt les cent mille flics que je suis dans chaque ville du pays. Il s’agit de la structure qui m’a conçu (avec laquelle j’ai choisi de me compromettre) et c’est ma maigre contribution à la cause de la justice radicale.

OUI, TOUS LES FLICS SONT POURRIS.

J’étais officier de police dans une grande zone métropolitaine de Californie où la population est majoritairement pauvre et non blanche (avec une forte proportion d’immigrants de première génération). Une nuit, lors d’un briefing, notre commandant nous a dit que le conseil municipal avait demandé une nouvelle politique de tolérance zéro. Contre les meurtriers, les trafiquants de drogue ou les prédateurs d’enfants ? Non, contre les sans-abri qui ramassent les canettes dans les poubelles de recyclage. Car, voyez-vous, la ville avait passé un accord avec la société de gestion des
déchets, qui prévoyait que la gestion des déchets serait payée par le gouvernement pour le tonnage de recyclage prévu. Lorsque les sans-abri ont « volé » ce recyclage à la société de gestion des déchets, ils ont mis en péril ce contrat économique. Nous devions donc arrêter autant de « recycleurs » que nous pouvions en trouver.
Même pour moi, c’était une décision politique stupide et j’ai envoyé balader le commandant. Mais quelques heures plus tard, il m’a appelé pour que je l’assiste. Il détenait une immigrante de 70 ans, qui ne parlait pas un mot d’anglais, et qu’il avait vu sortir une canette de coca d’une poubelle. Il m’a ordonné de l’arrêter pour vol de poubelle. J’ai dit : « Allons commandant, c’est une vieille dame. » Il a dit : « Je m’en fous. Attachez-la, c’est un ordre. » Et… je l’ai fait. Elle a pleuré pendant tout le trajet jusqu’au commissariat et tout au long de la procédure d’enregistrement. Je n’ai même pas pu la réconforter parce que je ne parlais pas espagnol. J’étais dégoûté, mais on m’a ordonné de procéder à son arrestation et je n’étais pas prêt à perdre mon boulot pour elle.

Si vous êtes tenté d’éprouver de la sympathie pour moi, ne le faites pas. J’avais l’habitude de harceler joyeusement les sans-abri dans d’autres circonstances. J’ai recherché d’obscurs codes pénaux afin de pouvoir arrêter des personnes dans des campements de sans-abri pour des crimes peu connus comme « rester trop près de la voie de chemin de fer » (369i du code pénal de Californie). J’appelais cela « planter les graines du mandat » car je savais qu’ils ne se rendraient pas au tribunal et que nous pourrions les arrêter encore et encore pour violation de mandat. Nous avions l’habitude d’organiser des concours informels pour savoir qui pourrait convoquer ou arrêter quelqu’un pour la loi la plus bizarre. Conduite en état d’ivresse sur un vélo, nombre de levier non réglementaires sur la dépanneuse (27700(a)(1) du Code des Véhicules de Californie)… des conneries comme ça. Pour moi, le travail de la police était un casse-tête logique pour arrêter les gens, quelle que soit la menace réelle qu’ils représentaient pour la communauté. Aussi honteux que cela puisse être, il faut le dire : priver les gens de leur liberté m’a semblé être un jeu pendant de nombreuses années.
Je sais ce que vous allez me demander : ai-je déjà dissimulé de la drogue pour créer de fausses preuves ? Ai-je déjà dissimulé une arme sur quelqu’un pour pouvoir l’incriminer ? Ai-je déjà procédé à une fausse arrestation ou déposé un faux rapport ? Croyez-le ou non, la réponse est non. Tricher n’était pas amusant, j’aimais obtenir mes statistiques de manière « légitime ». Mais je connaissais des officiers qui gardaient toujours un petit sachet contenant « un petit peu de tout » ou encore un couteau de poche un peu trop grand dans leur sac de guerre (oui, nous appelions nos sacs des « sacs de guerre »…). En ai-je déjà parlé à quelqu’un ? Non, je ne l’ai pas fait. Ai-je jamais avoué mes soupçons lorsque de la cocaïne est soudainement apparue dans la veste d’un membre de gang ? Non, je ne l’ai pas fait.

Laissez-moi vous parler d’une expérience extrêmement formatrice. Dans ma classe à l’école de police, nous avions une bande d’environ six stagiaires qui harcelaient et intimidaient régulièrement les autres étudiants : en éraflant intentionnellement les chaussures d’un autre stagiaire pour lui causer des ennuis pendant l’inspection, en harcelant sexuellement les stagiaires de sexe féminin, en faisant des blagues racistes, etc. Chaque trimestre, nous devions rédiger des évaluations anonymes de nos camarades de peloton. J’ai écrit des récits cinglants sur leur comportement, pensant que j’aiderais ainsi à garder les mauvais éléments hors de portée des forces de l’ordre et croyant que je serais protégé. Au lieu de cela, le personnel de l’académie leur a lu mes plaintes à haute voix en levant mon anonymat et ne les a jamais punis, ce qui m’a valu d’être harcelé pour le reste de ma formation. C’est ainsi que j’ai appris que même les dirigeants de la police détestent les balances. C’est pourquoi personne ne « change les choses de l’intérieur ». Ils ne peuvent pas, la structure ne le permet pas.

Et c’est le but de tout ce que je vous dis. Que vous soyez mon commandant, harcelant légalement une vieille femme, moi, harcelant légalement des habitants, mes camarades de stage intimidant toute notre promo, ou « les fruits pourris » harcelant illégalement les « sacs à merde », nous étions tous dans le même bateau. Je connaissais des flics qui arrêtaient des femmes pour les draguer. J’ai connu des flics qui pulvérisaient du spray au poivre sur les sacs de couchage pour que les sans-abri soient obligés de les jeter. Je connaissais des flics qui provoquaient intentionnellement la colère des suspects pour qu’ils puissent prétendre avoir été agressés. J’étais particulièrement doué pour énerver les gens verbalement jusqu’à ce qu’ils se lâche et que je puisse les frapper. Personne n’a levé la voix. Personne ne s’est dressé. Personne n’a trahi le code.
Aucun d’entre nous n’a protégé les gens (vous) des mauvais flics. C’est pourquoi « Tous les flics sont des pourris ». Même ton oncle, même ton cousin, même ta mère, même ton frère, même ton meilleur ami, même ton conjoint, même moi. Parce que même s’ils ne faisaient rien eux-mêmes, ils ne dénonçaient presque jamais ceux qui se rendaient coupable des pires exactions, et encore moins les empêchaient de les faire.

POURRITURE 101

Je pourrais écrire un livre entier sur les choses horribles que j’ai faites, que j’ai vu faire et que d’autres se vantaient d’avoir faites. Mais, pour moi, la grande question est « Comment en est-on arrivé là ? ». Lorsque j’étais policier dans une ville à 50km de chez moi, beaucoup de mes collègues étaient issus du coin et traitaient leurs voisins tout aussi mal que moi. Bien que les préjugés individuels de chaque flic entrent en jeu, c’est la profession en elle-même qui est toxique, et cela commence dès le premier jour de formation. Chaque académie de police est différente mais toutes partagent certaines caractéristiques: l’enseignement y est assuré par de vieux flics, elles sont dirigées comme des camps d’entraînement paramilitaires, l’accent est mis sur la protection de soi plus que sur toute autre chose. La majorité de mon temps à l’académie a été consacré à un entraînement physique agressif et à regarder vidéo après vidéo des policiers assassinés en service.

Je tiens à souligner ceci : presque tous ceux qui s’engagent dans les forces de l’ordre sont bombardés d’images de caméras de surveillance de policiers piégés dans des embuscades et se faisant tuer. Encore et encore et encore. De vieilles cassettes VHS en noir et blanc nous montre des scènes morbides, de flics criant à l’aide sur leurs radios, leurs corps désarticulés projetés sur la route alors qu’une paire de feux arrière s’éloigne à toute vitesse vers un horizon noir granuleux. Avec en prime, dans mon cas, les commentaires d’un vieux flic raciste qui se vantait d’avoir attaqué les Black Panthers.

Pour comprendre pourquoi tous les flics sont des pourris, il faut comprendre une des choses que presque tous les officiers instructeurs m’ont dites quand il s’agissait d’utiliser la force : « Je préfère être jugé par 12 que porté par 6. » Ce qui signifie « Je préfère tenter ma chance au tribunal plutôt que de risquer d’être blessé ». Nous pensons de cette façon parce que les syndicats de police sont extrêmement puissants ainsi qu’en raison du concept généreux d’immunité qualifiée, une règle juridique qui dit qu’un policier ne peut généralement pas être tenu personnellement responsable des erreurs qu’il commet dans l’exercice de ses fonctions officielles.

Lorsque vous examinez les actions des officiers qui ont tué George Floyd, Breonna Taylor, David McAtee, Mike Brown, Tamir Rice, Philando Castile, Eric Garner ou Freddie Gray, souvenez-vous qu’ils ont été, comme moi, formés à réciter le mantra « Je préfère être jugé par 12 ».
Même si « des erreurs sont commises », c’est la ville (c’est-à-dire les contribuables, c’est-à-dire vous) qui paie le préjudice, et non l’agent. Une fois que la formation de la police a – par la répétition, l’endoctrinement et le spectacle de la violence – certifié aux agents que tout le monde dehors est prêt à les tuer, la leçon suivante est que vos partenaires sont les seules personnes qui vous protègent.

Parfois, cela s’est révélé vrai : j’ai déjà été pris dans des situations qui ont rapidement dégénéré au point que je me suis vu mourir dans la minute et desquelles seul mes collègues ont pu me sortir. L’un des plus importants intellectuels dans le domaine de l’application de la loi est le colonel Dave Grossman, qui a écrit un essai intitulé « Moutons, loups et chiens de berger ». Les flics sont les chiens de berger, les méchants sont les loups, et les citoyens sont les moutons (!). Le colonel Grossman s’assure de mentionner que pour un mouton stupide, les chiens de berger ressemblent plus à des loups qu’à des moutons, et c’est pourquoi ils ne vous aiment pas.

Cette tactique du « ils te détestent parce que tu les protèges et moi seul t’aime, moi seul peux te protéger » est familière des étudiants en psychologie. C’est ce que font les agresseurs pour contraindre leurs victimes à l’isolement, les éloignant de leurs amis et de leur famille et ainsi les prendre au piège dans leurs filets. Les forces de l’ordre le font aussi, en dressant l’officier contre les civils. « Ils ne comprennent pas ce que vous faites, ils ne respectent pas vos sacrifices, ils veulent juste s’en tirer à bon compte avec leurs crimes. Vous n’êtes en sécurité qu’avec nous ». Je pense que la dynamique Loups contre Chiens de berger est l’un des éléments les plus importants qui expliquent pourquoi les officiers se comportent comme ils le font. À chaque seconde de ma formation, on me disait que les criminels ne faisaient pas partie de la société, qu’ils étaient de mauvaises personnes et que leurs mauvaises actions étaient uniquement le résultat de leur criminalité intrinsèque.

Tout concept de traumatisme systémique, de pauvreté générationnelle ou d’oppression de la suprématie blanche n’était jamais mentionné ou tout simplement écarté.
Après tout, la plupart des gens ne volent pas, donc ceux qui le font ne sont pas « la plupart des gens », n’est-ce pas ? Pour nous, toute personne qui commet un crime mérite tout ce qui lui arrive parce qu’elle a rompu le « contrat social ». Et pourtant, il n’est jamais question de savoir si la structure du pouvoir au-dessus d’eux honore un quelconque contrat en retour. Comprendre : Les policiers font partie du monopole de l’État sur la violence et toute formation policière renforce ce monopole en tant que pierre angulaire du travail policier, source d’honneur et de fierté. De nombreux flics fantasment sur le fait de pouvoir tuer quelqu’un dans l’exercice de leurs fonctions, encouragés par d’autres qui l’ont fait.
Un de mes officiers instructeurs m’a raconté la fois où il a tiré sur un sans-abri handicapé mental qui brandissait un gros bâton et l’a tué. Il s’est vanté d’avoir « dormi comme un bébé » cette nuit-là. La formation officielle vous apprend à être violent de façon efficace et à savoir quand vous êtes légalement autorisé à déployer cette violence, mais la « formation non officielle » vous apprend à désirer la violence, à user de plus en plus de cette violence sans vous faire prendre, et à éroder votre propre compassion envers les personnes désespérées afin de pouvoir justifier la violence punitive à leur égard.

COMMENT ÊTRE UNE POURRITURE

J’ai participé personnellement à certaines de ces activités, en ai été témoins d’autres ou encore ai entendu des officiers s’en vanter ouvertement. Exceptionnellement, j’ai pu connaître un officier qui a été sanctionné ou renvoyé pour l’une de ces choses. Les policiers vont mentir sur la loi, sur ce qui est illégal ou sur ce qu’ils peuvent légalement vous faire, pour vous manipuler et vous faire faire ce qu’ils veulent. Les officiers de police mentiront en disant qu’ils ont eu peur pour leur vie afin de justifier l’usage de la force après coup. Les policiers vous mentiront et vous diront qu’ils vont remplir votre plainte juste pour que vous leur lâchiez les baskets. Les policiers mentiront en disant que votre coopération « vous avantagera » au tribunal, ou qu’ils « passeront un bon mot pour vous au procureur ». La police ne vous aidera jamais à être bien vu au tribunal.

Les agents de police mentiront sur ce qu’ils ont vu ou entendu pour pouvoir accéder à des propriétés privées et procéder à des perquisitions illégales. Les policiers vont mentir et dire que votre ami vous a déjà dénoncé, alors autant le faire à votre tour. Cela n’est presque jamais vrai. Les policiers mentiront et diront que vous n’avez rien à vous reprocher afin de vous faire partir d’un endroit ou de rendre une arrestation plus commode pour eux. Les policiers mentiront et diront qu’ils ne vous arrêteront pas si vous êtes « honnête avec eux » afin qu’ils sachent ce qu’il s’est réellement passé. Les policiers mentent sur leur capacité à saisir les biens de vos amis et de votre famille pour obtenir des aveux sous la contrainte. Les policiers rédigeront des contraventions bidons pour obtenir des heures supplémentaires au tribunal.

Les policiers fouillent les lieux et les contenants même si vous n’y avez pas consenti et prétendent ensuite qu’ils étaient ouverts ou qu’ils « sentaient la marijuana ». Les policiers vous menaceront d’un crime grave qu’ils ne peuvent pas prouver afin de vous pousser à avouer le crime moins grave pour lequel ils vous veulent vraiment. Les policiers appliqueront une tolérance zéro à l’égard des races et des ethnies qu’ils n’aiment pas et feront preuve de faveur et de clémence à l’égard des membres de leur propre groupe. Les policiers utiliseront des techniques intentionnellement très douloureuses et des prises lors d’arrestations pour provoquer une « résistance » afin de pouvoir violenter davantage le suspect. Certains policiers dissimuleront de la drogue et des armes sur vous, parfois pour vous donner une leçon, parfois s’ils vous tuent quelque part à l’abri des regards du public. Certains policiers vous agresseront pour vous intimider et menaceront de vous arrêter si vous en parlez à quelqu’un. Un nombre non négligeable de policiers vous voleront des effets personnels chez vous ou dans votre véhicule lors d’une perquisition. Un nombre non négligeable de policiers commettent des actes de violence à l’égard de leur conjoint.e et utilisent leur statut pour s’en tirer. Un nombre non négligeable de policiers utilisent leur position pour appâter, contraindre ou forcer des personnes vulnérables à leur accorder des faveurs sexuelles.

Si vous ne devez retenir qu’une seule chose de ce texte, je veux que vous vous imprimiez ceci dans votre crâne pour toujours : si un policier vous dit quelque chose, c’est probablement un mensonge destiné à gagner votre obtempération.
Ne parlez pas aux flics et ne les croyez jamais. N’essayez pas de « vous rendre utile » avec les flics. Ne supposez pas qu’ils essaient d’attraper quelqu’un d’autre à votre place. Ne supposez pas que ce qu’ils font est « important » ou même légal. En aucun cas, il ne faut supposer qu’un policier est de bonne foi. Aussi, et c’est important, ne parlez pas aux flics. Je viens de me rappeler quelque chose, ne parlez pas aux flics. En vérifiant mes notes rapidement, quelque chose m’a sauté aux yeux : NE PARLEZ ABSOLUMENT JAMAIS AUX FLICS.
Dites : « Je ne souhaite pas répondre aux questions » et demandez si vous êtes libre de partir ; si oui, partez. Sinon, dites-leur que vous voulez un avocat.

LES POURRIS SONT-ILS PARFOIS UTILES ?

En lisant ce qui précède, vous serez peut-être tenté de vous demander si les flics font parfois des choses bien. Et la réponse est, oui, parfois. De fait, la plupart des officiers avec lesquels j’ai travaillé pensaient qu’ils aidaient les personnes sans défense et protégeaient la sécurité des innocents. Pendant mon mandat dans les forces de l’ordre, j’ai protégé des femmes contre leurs maris violents, arrêté des meurtriers et des agresseurs d’enfants, réconforté des familles ayant perdu leurs enfants dans des accidents de voiture ou d’autres tragédies. J’ai aidé des personnes en difficulté à contacter des associations locales pour obtenir de la nourriture, un abri et des conseils. J’ai désamorcé des situations qui auraient pu très mal tourner et j’ai dissuadé beaucoup de gens de faire la plus grosse erreur de leur vie. J’ai travaillé avec une multitude d’agents qui, pris individuellement, étaient gentils, achetaient de la nourriture pour les sans-abri et prenaient soin d’autrui.

La question est la suivante : avais-je besoin d’une arme et du pouvoir étendu de la police pour aider le citoyen lambda au cours d’une nuit ordinaire ? La réponse est non. Quand je donnais le meilleur de moi-même en tant que flic, je ne faisais en réalité qu’un travail médiocre de thérapeute ou d’assistant social. Mes bonnes actions ont consisté à écouter les gens que le système avait laissé tomber et à essayer de les aider avec les miettes qui restait. Il est également important de noter que plus de 90 % des appels que j’ai traités étaient réactifs, c’est-à-dire qu’ils survenaient bien après qu’un crime ait eu lieu. Nous arrivions sur place, prenions une déclaration, réunissions les preuves (le cas échéant), classions le rapport et passions à l’affaire suivante. La plupart des crimes « actifs » que nous parvenions à stopper impliquaient juste des personnes inoffensives qui possédaient ou vendaient de petites quantités de drogue. Il était extrêmement rare que nous parvenions à stopper une situation dangereuse en cours ou que nous empêchions complètement quelque chose de se produire. Le mieux que nous ayons pu faire était d’apercevoir un suspect s’enfuir de la scène d’un crime alors que le mal était déjà fait.

Réfléchissez bien à tout ceci : mon travail d’officier de police m’obligeait à être conseiller matrimonial, psychologue, médiateur, travailleur social, défenseur des enfants, expert en sécurité routière, spécialiste des agressions sexuelles et, de temps en temps, agent de la sécurité publique autorisé à utiliser la force, le tout après seulement 1000 heures de formation dans une école de police. La personne que nous envoyons pour attraper un voleur doit-elle aussi être celle que nous envoyons pour interroger une victime de viol ou constater un accrochage de pare-chocs ? Faut-il attendre d’une profession qu’elle s’occupe de tout cela en même temps tout en ayant une formation très limitée ?
Pour le dire autrement : je gagnais le double du salaire de la plupart des travailleurs sociaux alors que je ne faisais qu’une fraction de ce qu’ils sont capables de faire pour pallier aux causes des crimes et au désespoir. Très rares sont les fois où mon monopole de la violence d’État a réellement sécurisé les citoyens, et même dans ce cas, il est difficile de dire si des filets de sécurité sociale mieux financés, accompagnés de quelques spécialistes de l’accompagnement n’auraient pas été plus efficaces. Des flics armés, endoctrinés (et oserais-je dire, traumatisés) ne rendent pas vos vies plus sûres ; se sont les réseaux d’entraide, tissant des liens solidaires entre les personnes et garantissant qu’elles soient nourries, habillées et logées, qui les rendent plus sûres. Je veux vraiment insister làdessus : tous les flics de votre quartier sont lobotomisés par leur formation, enhardis par leur immunité, et ils ont une arme ainsi que la capacité de vous ôter la vie en toute impunité. Cela ne rend pas votre environnement plus sûr, même si vous êtes blanc.

COMMENT RÉSOUDRE UN PROBLÈME COMME UNE POURRITURE ?

Mais alors que faire ? Même si je suis un expert en matière de pourriture, je ne suis pas un expert en politique publique ni en organisation d’une société post-police. Donc, avant de faire quelques suggestions, laissez-moi vous dire ce qui ne résoudra probablement PAS le problème des flics pourris :

  • Multiplier les formations contre les « préjugés ». Une formation trimestrielle ou même mensuelle n’est pas en mesure de compenser les années de camaraderie traumatique des forces de police. Je peux vous dire par expérience que nous ne prenons pas cela au sérieux, les surveillants nous laissent tricher sur les « tests », quels qu’ils soient, et nous nous en moquons juste après autour de la machine à café.
  • Des lois plus sévères. J’espère que vous comprenez maintenant que les flics ne suivent pas la loi et ne se tiennent pas mutuellement responsables devant la loi. Des lois plus sévères seraient une raison de plus pour entrer en résistance et protéger vos frères et sœurs.
  • Davantage de programmes de police de proximité. Certes, il y a un effet marginal lorsque quelques flics apprennent à connaître un peu la population, mais regardez les manifestations de 2020 : nombre des flics qui aspergent les journalistes de spray au poivre étaient probablement les gentils flics à l’école un mois plus tôt.

Les policiers ne protègent ni ne servent pas les gens, ils protègent et servent le statu quo, l’ordre social et la propriété privée. L’utilisation des mécanismes progressifs du statu quo ne réformera jamais la police car le statu quo repose sur la violence policière pour exister. Le capitalisme exige qu’une classe laborieuse permanente soit exploitée comme main-d’œuvre bon marché et il exige que les flics mettent cette classe laborieuse au pas.

Au lieu de perdre du temps avec de futiles modifications, je vous recommande d’explorer les idées suivantes :

  • Plus d’immunité qualifiée. Les policiers devraient être personnellement responsables de toutes les décisions qu’ils prennent dans l’exercice de leurs fonctions.
  • Plus de confiscation des biens civils. Saviez-vous que chaque année, les citoyens [sic] comme vous perdent plus d’argent et de biens à cause de la confiscation de biens non justifiés que de tous les cambriolages réunis ? La police peut voler vos affaires sans vous inculper et cela rend certains services de police très riches.
  • Briser le pouvoir des syndicats de police. Les syndicats de police rendent presque impossible le licenciement des mauvais flics et incitent à les couvrir afin de protéger le pouvoir du syndicat. Un syndicat de police n’est pas un syndicat de travailleurs ; les policiers sont de puissants agents de l’État, pas des travailleurs exploités.
  • Exiger une assurance contre la faute professionnelle. Les chirurgiens doivent payer une assurance s’ils bâclent une opération, les policiers doivent faire de même s’ils bâclent une descente de police ou tout autre usage de la force. Si la décence humaine n’incite pas la police à respecter la vie humaine, peut-être que frapper leur portefeuille le fera.
  • Définancer, démilitariser et désarmer les flics. Des milliers de services de police possèdent des fusils d’assaut, des véhicules blindés de transport de troupes, et des choses que vous ne verriez que dans une zone de guerre. Les policiers disposent de subventions et d’énormes budgets à consacrer aux armes, aux munitions, aux gilets pare-balles et à l’entraînement au combat.
  • 99% des appels de service ne nécessitent pas de réponse armée, mais lorsque tout ce dont vous disposez est un flingue, chaque situation ressemble à un entraînement sur cible.
  • Les villes ne sont pas plus sûres lorsque des brutes irresponsables ont le monopole de la violence d’État et l’équipement adéquat pour l’exercer.
  • Une dernière idée : envisagez l’abolition de la police.

Je sais ce que vous vous dites, « Quoi ? Mais, nous avons besoin de la police ! Ils nous protègent ! » En tant que personne ayant exercé pendant près d’une décennie, il faut absolument que vous compreniez que, dans l’ensemble, la protection policière est marginale, anecdotique. C’est une illusion créée par des décennies de propagande policière destinée à vous faire croire que ces braves hommes et femmes sont les seuls remparts face à la barbarie.
J’y ai déjà fait allusion plus haut : la grande majorité des appels de service que j’ai traités étaient des rapports de vol, des rapports de cambriolage, des disputes domestiques qui n’avaient pas dégénéré, des fêtes bruyantes, des personnes (sans logement) qui rôdaient, des collisions de la route, des cas très mineurs de possession de drogue et des disputes entre voisins. Bref, il s’agissait surtout des hauts et des bas de la vie quotidienne, avec très peu de danger inhérent. Et, comme je l’ai mentionné, la grande majorité des crimes auxquels j’ai été confronté (même les crimes violents) avaient déjà eu lieu ; mon permis de tuer était inutile.

Ce à quoi j’ai principalement servi, c’était à être une tierce partie soi-disant objective ayant le pouvoir de consigner les dommages matériels, de demander aux gens de se calmer ou de se disperser, ou bien de conseiller aux gens de ne pas se battre entre eux. Un médiateur formé ou un spécialiste de la résolution des conflits aurait été dix fois plus efficace qu’une personne avec un flingue accroché à la hanche qui passe son temps à se demander si quelqu’un va essayer de le tuer s’il se montre en public. Il existe de nombreux modèles de sécurité publique qui peuvent être explorés si nous nous éloignons de l’idée que la seule façon d’être en sécurité est d’avoir un homme avec un fusil M4 qui rôde dans votre quartier, prêt à noter votre nom et votre date de naissance après que vous ayez été volé et frappé.

Vous vous demandez peut-être : « Et que fait-on des voleurs à main armée, des gangsters, des trafiquants de drogue, des tueurs en série ? » Et oui, dans la ville où je travaillais, j’ai régulièrement interrompu des raids de gangs, trouvé des membres de gangs portant des armes et traité des homicides. J’ai vu des choses tragiques, d’un gangster repenti abattu d’une balle dans la tête et dont le cerveau coulait par terre, jusqu’à un garçon de quinze ans qui a rendu son dernier souffle dans les bras de sa mère qui hurlait, à cause de la balle d’un membre de gang. Je connais le visage de la violence. C’est là que nous devons avoir le courage de nous demander : Pourquoi les gens volentils ? Pourquoi rejoignent-ils des gangs ? Pourquoi deviennent-ils dépendants à la drogue ou la vendent-ils ? Ce n’est pas parce qu’ils sont intrinsèquement mauvais. Je vous garantie que ce sont les résultats de la vie dans un système capitaliste qui broie les gens et les prive de logement, de soins médicaux, de dignité humaine et d’une voix au chapitre dans leur façon d’être gouverné. Ce sont les résultats de la suprématie blanche qui pousse les gens à la marge, les exclut, les déconsidère et traite leur corps comme un objet jetable.

Il est tout aussi important de se rappeler que les personnes handicapées et les malades mentaux sont fréquemment tuées par des policiers qui ne sont pas formés pour reconnaître et réagir aux handicaps ou aux crises de panique mentale. Certaines des personnes que nous voyons comme des « délinquants violents » sont souvent des personnes souffrant de maladies mentales non traitées, généralement en raison de difficultés économiques. Très souvent, les agents envoyés pour « protéger la population » aggravent cette crise et finissent par blesser ou tuer la personne. Votre espace de vie n’a pas été rendue plus sûre grâce la violence policière ; un membre malade de votre communauté a été tué parce que cela coûtait moins cher que de le soigner. Êtes-vous si confiant que vous pensez ne jamais tomber malade un jour vous aussi ?

Réfléchissez un instant : si tous les besoins matériels d’une personne étaient satisfaits et si tous ses proches étaient nourris, vêtus, logés et dignes, pourquoi auraient-ils besoin de rejoindre un gang ? Pourquoi devraient-ils risquer leur vie en vendant de la drogue ou en pénétrant par effraction dans des bâtiments ? Si les soins psychologiques étaient gratuits et non stigmatisés, combien de vies cela sauverait-il ? Y aurait-il encore quelques mauvaises graines dans le monde ? Bien sûr, probablement. Quelle est ma solution pour eux, me demanderez-vous sans doute. Je vais vous le dire : la pauvreté générationnelle, l’insécurité alimentaire, le mal logement et les soins médicaux à but lucratif sont autant de problèmes qui peuvent être résolus de notre vivant en rejetant le hachoir à viande déshumanisant du capitalisme et de la suprématie blanche. Une fois que cela sera fait, nos cœurs ne seront plus obscurcis par un système corrompu et nous pourrons nous pencher ensemble sur les cas particuliers.

L’abolition de la police est étroitement liée à l’idée de l’abolition des prisons et à tout le concept de bannissement de l’État carcéral, c’est-à-dire la création d’une société axée sur la réconciliation et la justice réparatrice plutôt que sur la punition, la douleur et la souffrance – un système qui considère les personnes en crise comme des êtres humains, et non comme des monstres.
Les personnes qui veulent abolir la police veulent généralement aussi abolir les prisons, et les mêmes questions leurs sont toujours posées : « Et les méchants ? Où les met-on ? » Je soulève ce point parce que les abolitionnistes ne veulent pas simplement remplacer les flics par des travailleurs sociaux armés ou les prisons par des centres de détention remplis de canapés en cuir confortables et de PlayStations. Nous imaginons un monde non pas divisé entre les bons et les méchants, mais plutôt un monde où les besoins des gens sont satisfaits et où les personnes en détresse reçoivent des soins, et ne sont pas déshumanisés.

Voici la légendaire militante et penseuse Angela Y. Davis qui le dit mieux que je ne pourrais jamais le faire :

« Une approche abolitionniste qui cherche à répondre à de telles questions exigerait que nous imaginions une constellation de stratégies et d’institutions alternatives, dans le but ultime de retirer la prison du paysage social et idéologique de notre société. En d’autres termes, nous ne chercherions pas de substituts à la prison, comme l’assignation à résidence à l’aide de bracelets de surveillance électronique. Au contraire, en faisant de la décarcération notre stratégie globale, nous tenterions d’envisager un continuum d’alternatives à l’emprisonnement – la démilitarisation des écoles, la revitalisation de l’éducation à tous les niveaux, un système de santé qui offre des soins physiques et mentaux gratuits à tous, et un système de justice basé sur la réparation et la réconciliation plutôt que sur le châtiment et la vengeance ».
(Are Prisons Obsolete, pg. 107)

Je ne suis pas en train de vous dire que j’ai le plan d’un tout nouveau monde idéal. Ce que je vous dis, c’est que le système actuel est irréparable et qu’il est temps d’envisager de nouvelles façons de faire communauté. Ces nouveaux moyens doivent être appréhendés par les membres de ces communautés, en particulier les Noirs, les indigènes, les handicapés, les sans-logis et les citoyens de couleur historiquement exclus de la société. Au lieu de laisser Fox News vous remplir la tête de cauchemars sur les gangs hispaniques, demandez à la communauté hispanique ce dont elle a besoin pour s’épanouir. Au lieu de laisser les politiciens racistes faire peur au sujet des manifestants proNoirs, demandez à la communauté noire ce dont elle a besoin pour répondre aux besoins des plus vulnérables. Si vous voulez vraiment la sécurité, ne vous demandez pas ce que les plus vulnérables peuvent faire pour la communauté, mais ce que la communauté peut faire pour les plus vulnérables.

UN MONDE AVEC MOINS DE POURRIS EST POSSIBLE

Si vous ne devez retenir qu’une seule chose de ce texte, j’espère que ce sera ceci : ne parlez pas aux flics.
Mais si vous ne retenez que deux choses, j’espère que la seconde sera qu’il est possible d’imaginer un monde différent où les noirs, les indigènes, les pauvres, les handicapés et les gens de couleur ne sont pas systématiquement abattus par des policiers qui n’ont aucun compte à rendre. Cela pourrait être différent. Certes, il faudra pour cela faire un saut de la foi dans des modèles de société qui peuvent sembler peu familiers, mais je vous pose la question : quand vous voyez un homme mourir dans la rue en suppliant de pouvoir respirer, ne voulez-vous pas fuir ce monde ? Quand vous voyez une mère ou une fille abattue dans leur lit, ne voulez-vous pas fuir ce monde ? Quand vous voyez un garçon de douze ans exécuté dans un parc public pour avoir joué avec un jouet, mais bon sang, pouvez-vous vraiment rester là et penser « Ceci est normal » ?

Et pour tous les flics qui auraient lu jusqu’ici, est-ce vraiment le monde dans lequel vous voulez vivre ? N’êtes-vous pas fatigué de vos traumatismes ? N’êtes-vous pas fatigué de la maladie de l’âme liée à l’insigne que vous portez ? N’êtes-vous pas fatigué de fermer les yeux lorsque vos partenaires enfreignent la loi ? Êtes-vous vraiment prêt à tuer le prochain George Floyd, la prochaine Breonna Taylor, le prochain Tamir Rice ? Dans quelle mesure êtes-vous sûr que votre prochain recours à la force sera quelque chose dont vous serez fier ? Je vous écris aussi : ce que notre formation nous a fait est mauvais, qu’elle ait endurci nos cœurs auprès de nos congénères est mauvais, et prétendre que tout ceci est normal est mauvais.

Écoutez, je n’aurais pas été capable d’entendre tout cela durant une grande partie de ma vie. Il est possible que vous ne le puissiez pas non plus pour l’instant. Mais faites-moi une faveur : réfléchissez-y. Faites tourner cela dans votre esprit pendant quelques minutes. Regardez autour de vous et pensez au genre de monde dans lequel vous voulez vivre. S’agit-il d’un monde où un inconnu armé tout-puissant vous tient, vous et vos voisins, en ligne de mire avec la peur de la mort, ou pouvez-vous imaginer un monde où, en tant que communauté, nous accueillons nos plus vulnérables, répondons à leurs besoins, guérissons leurs blessures, honorons leur dignité et faisons d’eux des membres de notre famille plutôt que des étrangers désespérés ?
Si vous ne devez retenir que trois choses de ce texte, j’espère que la troisième sera la suivante : vous et votre communauté n’avez pas besoin de pourris pour vous épanouir.

Traduction : militant anonyme.

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