Des Black blocs à la marche pour le climat
Un black bloc à une marche climat devait forcément arriver un jour. Les organisations ont dû faire face à la dure réalité qu’elles ne pouvaient pas envisager, l’impossibilité de contrôler une manifestation massive avec un « consensus de mobilisation » (qui n’en est pas un, il s’agit plutôt d’un règlement, qui peut dans certaines conditions être légitime dans des actions, pour des raisons stratégiques par exemple, ou des espaces réservés à des personnes se réclamant de la « non violence », mais pas de manière globale dans une manifestation massive).
Si un black bloc s’est formé sur la marche climat, c’est parce qu’il ne pouvait pas se former ailleurs et qu’une grosse mobilisation était prévue à cette date depuis longtemps, sinon il n’aurait pas été dans cette manifestation. Il était plus que probable que beaucoup de gilets jaunes et adeptes de la tactique du black bloc allaient rejoindre la marche climat, tous les autres rassemblements n’ayant pu tenir face au harcèlement et à la répression très brutale des forces de l’ordre.
Le cortège a été bloqué dans son intégralité par les affrontements survenus très tôt. Mais il faut bien avoir conscience qu’une manifestation est une mobilisation de masse où tout n’est pas contrôlable, il faut savoir à quoi on s’expose en venant en manifestation. Une manifestation est l’expression d’une opposition politique qui peut être très virulente et mener à des affrontements, surtout actuellement avec le contexte de tension sociale très élevée et le durcissement de la répression par le pouvoir. Et si l’on veut s’engager dans les luttes sociales et écologistes tout en restant en sécurité, il y a beaucoup d’autres moyens plus utiles qu’une manifestation où l’on marche des heures en chantant des slogans. Trop souvent, les organisations laissent croire à chaque manifestation pacifique que ce sera LA manifestation qui changera les choses, mais c’est illusoire et c’est une démarche malhonnête ou naïve pour faire croire qu’elles ont un poids politique en mobilisant du monde. Sur ce sujet, le podcast de floraisons sur les limites de l’écologisme citoyenniste est très intéressant à écouter : https://floraisons.blog/podcast1-11/
Beaucoup de personnes ont dû découvrir les agissements de la police, la répression, leurs armes, ce que des habitant.es de quartiers marginalisés et persécutés en banlieue connaissent depuis des années, régulièrement. Une autre violence de l’État. Des gens non violents ont été attaqués sans raison comme le déclaraient les organisateur.ices de la marche : « A 14h45, 45 minutes après le départ de la Marche Climat, les forces de l’ordre ont projeté sans sommation plusieurs dizaines de grenades de désencerclement directement dans le cortège alors que la manifestation était autorisée. Devant la violence de cette attaque policière, inédite dans l’histoire du mouvement, les dizaines de milliers de manifestants réunis ont été contraints de faire marche arrière et rebrousser chemin. Il y a une volonté délibérée et inacceptable du gouvernement de réduire la contestation au silence ». Certaines personnes n’ayant pas forcément vécu la scène penseront donc que tout est de la faute du black bloc qui s’est formé en tête, mais ces événements sont arrivés à distance de la tête, il ne s’agissait donc pas de riposte des forces de l’ordre, mais bien d’une attaque.
Pour rappel, un black bloc n’a pas tant pour but de mener des actions qui seraient décisives mais avant tout d’envoyer un message politique fort de contestation qui sera bien plus diffusé et marquera davantage les esprits qu’une manifestation classique, ainsi que protéger le cortège d’éventuelles attaques policières. Quant à la casse qui peut avoir lieu suite à une initiative individuelle au sein ou en marge d’un black bloc ou non, c’est aussi pour que le message politique d’opposition soit plus fort, ce n’est pas la vitrine brisée d’une banque qu’il faut regarder mais pourquoi est-ce qu’elle est visée. Sur ce sujet, l’article d’Ana Minski est particulièrement intéressant pour distinguer la tactique du black bloc en elle-même et les agissements individuels problématiques de certaines personnes menant des actions qui ne sont pas stratégiques : https://www.partage-le.com/…/black-blocs-et-actions-direct…/
Certaines personnes disent que leurs revendications ont été pourries par un petit groupe de personnes, mais les revendications, à quoi servent-elles ? Est-ce qu’elles ont abouti aux dernières marches ? Beaucoup de gens veulent à tout prix garder une image la plus propre possible pour que leurs revendications aient une chance d’aboutir parce que ce serait seulement à cette condition que les élites les accepteraient, sinon dès qu’il y a de la violence ce serait noyé. Sauf que les revendications n’aboutissent jamais au final et lorsque la violence s’exprime, les élites se dédouanent en disant que les revendications ne sont donc plus légitimes. Penser que les élites accorderont quoi que soit par une image purement non violente est une erreur d’analyse de l’État, c’est par la force et la contrainte qui peut s’exercer de beaucoup de manières différentes que l’état cède, comme ce fut le cas à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, pas par une demande venant de personnes avec toutes les bonnes intentions du monde et se réclamant purement non violentes.
Il faudrait quand même être clair sur le fait que les manifestations ne changeront pas durablement les choses et qu’il est illusoire d’espérer que les élites accéderaient aux demandes avec une simple manifestation. Leurs fonctions sont davantage de réunir les personnes qui sont sensibles à certaines causes, permettre de se retrouver, que des personnes qui ne sont pas encore dans des organisations militantes les découvrent, mais aussi montrer une certaine force d’opposition et envoyer un message politique. Les organisations font trop souvent croire que par une manifestation complètement pacifique, les élites pourraient accepter de répondre aux demandes (qui ne sont pas forcément adaptées). C’est un mensonge pour les gens qui se mobilisent et les organisations s’en servent pour mettre en avant leur image en disant qu’elles arrivent à mobiliser du monde et se félicitent pour ça. Certaines organisations écologistes deviennent de plus en plus à l’image des syndicats actuels en collaborant beaucoup avec les autorités, en cherchant la négociation avec le pouvoir, en adoptant un comportement autoritaire avec le service d’ordre et une structure verticale… Les syndicats actuels n’ont jamais réussi à obtenir grand chose par ce moyen, il ne s’agirait pas de reproduire ce schéma. Il est grand temps que les écologistes s’en émancipent comme les gilets jaunes l’ont fait.
Et il ne faut pas oublier qu’il y a d’autres actions à mener une fois que la manifestation est passée, comme de la désobéissance civile qui peut être menée par des mouvements à visage découvert, de l’action directe comme les ZAD pour protéger des terres et potentiellement recréer des zones d’autonomie, ou des blocages fonctionnels voire du sabotage pour perturber le fonctionnement destructeur de notre civilisation industrielle, qui devraient plutôt être menés par des organisations clandestines du fait de la répression policière et judiciaire. Mais il y a aussi des initiatives solidaires comme le soutien aux personnes précarisées, persécutées, des projets sociaux ou écologiques à mener, par exemple reforester massivement avec la méthode d’Akira Miyawaki qui est très efficace, des alternatives à expérimenter comme la permaculture appliquée à la production de nourriture avec les jardins forêts, à la construction avec les habitations en bois terre paille, ou encore à l’organisation de micro-sociétés autogérées, des connaissances à acquérir sur les plantes sauvages, les méthodes de soin alternatives, les savoir-faire pour être plus autonome et s’émanciper de la civilisation industrielle…
Face au désastre socio-écologique en cours, il faut à la fois résister et créer de l’alternative soutenable, résiliente, juste et durable, une manifestation est loin d’être la seule façon de se mobiliser.