Nous avons vu dans les précédentes sections quelles étaient les origines de la destruction de la nature. Nous avons rejeté un certain nombre de fausses solutions qui s’inscrivent dans la logique de destruction du vivant, comme le greenwashing qui n’est qu’une nouvelle forme de propagande mensongère, comme les solutions techniques telles que la transition énergétique ou l’essor de technologies dites « vertes » qui permettent en réalité au capitalisme de durer plus longtemps, comme la naïveté et l’inefficacité totale de croire que l’on peut changer les choses de l’intérieur en s’inscrivant dans une démarche politicienne faisant confiance aux institutions alors que celles-ci sont gangrenées. Il existe d’autres moyens de lutte qui ont prouvé historiquement leur efficacité et qui consistent en un éventail de différentes méthodes agissantes et complémentaires. Il est nécessaire de les examiner de manière pragmatique, en mesurant d’une part leur efficacité et d’autre part le degré d’implication et de risque que chaque militant voudra prendre pour atteindre l’objectif fixé.
La nécessité de stratégies d’attaque
La période de reconstruction suivant la fin de la 2ème Guerre Mondiale ne s’est jamais vraiment arrêtée, elle s’est transformée en suprémacisme de l’économie de marché en s’appuyant sur le mythe d’un progrès perpétuel supposé apporter bonheur et prospérité aux humains. Le « monde libre » ayant triomphé de l’horreur nazie s’est ensuite trouvé un autre adversaire qui représentait un danger à son expansionnisme, à savoir l’idéologie et les pays communistes. Les pays capitalistes ont vaincu le communisme notamment en prouvant leur efficacité économique, financière et militaire par rapport à un système communiste monolithique et incapable d’adaptation, dont le productivisme tournait à vide.
Depuis 1989, le capitalisme n’a plus d’autre adversaire que lui-même et son triomphe s’est traduit par la mondialisation des échanges. Or pour que le capitalisme puisse fonctionner, il lui faut construire sans cesse (des villes de plus en plus grandes, des infrastructures, des industries), inventer des produits et des services afin de générer des retours sur investissement bénéficiaires. Pour permettre cela, le capitalisme s’empare des territoires et des ressources les plus riches tout en exploitant les êtres humains qui deviennent des travailleurs et des consommateurs soumis aux aléas de l’économie de marché capitalistique. Pour le capitalisme, la pollution de l’air, de l’eau, de la terre, l’exploitation des poissons, la disparition des animaux sauvages, le pillage et l’incendie des forêts primaires ne constituent que des effets secondaires négligeables. Le système capitaliste procède en privatisant ou en s’arrogeant des biens communs, et de ce fait s’attaque systématiquement à tout ce qui constitue la Nature. Il s’agit d’un système fondamentalement prédateur qui ne peut pas s’arrêter sous peine de disparaitre.
C’est aussi la raison pour laquelle les personnes qui s’opposent à l’appropriation et à la marchandisation des biens communs se positionnent dans une attitude défensive. Des militants écologistes de plus en plus nombreux ont pris conscience qu’ils se situaient dans une culture de défense : défense de l’environnement, défense contre des projets pharaoniques inutiles, défense du bien-être animal, défense contre la standardisation et l’exploitation des humains, la liste est longue et non exhaustive.
Or l’on dispose de suffisamment de recul pour s’apercevoir qu’en 70 ans, la défense de la Nature est essentiellement une succession d’échecs. Il est donc indispensable pour les écologistes de revoir leur stratégie, ce qui signifie qu’il faut passer à l’attaque contre une machine devenue folle qui jamais ne s’arrêtera de sa propre initiative. Comme le capitalisme ne veut pas et ne peut pas se remettre fondamentalement en question, il faut prendre l’initiative de le stopper en utilisant tous les moyens disponibles.
Nous comprenons que la décision de passer à l’attaque puisse faire peur. Mais si nous n’agissons pas maintenant, il n’y aura bientôt plus grand-chose à défendre. Les sols, les espaces naturels seront bientôt tous artificialisés, les animaux sauvages auront disparu ou resterons confinés dans des réserves soigneusement délimitées bien que remises en question si l’on y découvre des ressources (pétrole, métaux, etc) valorisables. Rappelons-nous du sort des Indiens d’Amérique, dont les survivants ont été déportés de force dans des réserves dont les superficies furent à chaque fois unilatéralement diminuées par le gouvernement américain au fur et à mesure de ses nouveaux besoins territoriaux. Des Natifs américains par ailleurs considérés soit comme des animaux, soit comme des êtres inférieurs.
Jusqu’à récemment l’initiative a toujours été une prérogative de la civilisation industrielle. Il faut que cela change, en menant des actions qui menacent les fondements du système capitaliste. Nous savons que ce système menace gravement toute forme de vie sur la planète. Notre objectif final est donc de mettre fin à ce système. Pour que cela puisse se produire, il s’agit de sélectionner les différentes cibles sans lesquelles le système ne pourrait plus fonctionner. Une fois identifiées, il faut porter l’initiative et trouver les moyens les plus adéquats permettant de détruire ou de rendre ces cibles inopérantes.
A ce sujet, il est important de rappeler que DGR respecte fondamentalement toute forme de vie, humaine et non humaine. Par conséquent nous nous opposons fermement à toute violence ayant pour effet ou pour but d’attaquer l’intégrité physique de qui que ce soit.
1. Les actions collectives de masse
Les actions collectives de masse sont susceptibles de s’inscrire dans la perspective d’une stratégie d’attaque. Cependant, elles peuvent donner lieu à des confusions soit accidentelles ou alors soigneusement entretenues compte tenu de la diversité des moyens utilisables.
Pour certains, la massification est une stratégie en soi. L’idée consiste à penser qu’un certain nombre de personnes mobilisées suffit à obtenir gain de cause. Une étude de 2011 effectuée par Erica Chenoweth et Maria J. Stephan fixe le chiffre de cette masse critique à 3,5%, un chiffre devenu récurrent (et quasiment biblique) auprès de nombreuses organisations qui ont décidé d’agir de manière strictement non violente. Ces auteures ont également soutenu que les mouvements de masse non violents ont été deux fois plus efficaces que les protestations violentes. Au-delà des aberrations et des manipulations qui ont permis d’établir une fausse certitude chiffrée (1), la massification est une erreur stratégique. En effet, le capitalisme concentre entre ses mains l’intégralité des pouvoirs : législatif (avec un ensemble de lois qui favorisent la destruction du vivant et des territoires), judiciaire, médiatique, politique, policier et militaire. Jamais la civilisation industrielle n’acceptera un changement structurel et encore moins son démantèlement, même si 10 ou 20% de la population veuille l’exiger un jour. La civilisation industrielle s’y opposera, et elle s’y oppose déjà, y compris par l’utilisation de la violence institutionnalisée. La mobilisation des Gilets Jaunes, si durement réprimés, en est un exemple récent.
Les méthodes des actions de masse sont nombreuses : manifestations, pétitions, actions plus ou moins spectaculaires, blocages, désobéissance civile.
Des campagnes de signatures de pétitions sont régulièrement organisées, citons notamment celle pour le pacte écologique (800.000 signatures), Osons pour le Climat (600.000 signatures), Nous voulons des Coquelicots (960.000 signatures), l’Affaire du Siècle (2 millions de signatures). De même, on ne compte plus les manifestations depuis plusieurs dizaines d’années, les dernières en date étant les manifestations pour le climat.
Nous ne nions pas l’intérêt des manifestations ni des pétitions, mais leur efficacité est particulièrement limitée. Ces moyens d’action ne remettent pas fondamentalement en cause le système et ne l’inquiètent pas, sauf lorsqu’elles font partie d’une stratégie plus globale qui inclut d’autres actions comme les grèves et les blocages. Elles permettent toutefois de savoir si un sujet précis mobilise ou pas un grand nombre de personnes et d’organisations, elles démontrent le degré de détermination et les moyens susceptibles d’être employés, elles sont souvent médiatisées ce qui d’une part peut élargir l’audience d’un combat, mais d’autre part déchaîne les médias officiels qui sont les vecteurs du système capitaliste destinés à discréditer et calomnier en monopolisant la parole et en fabriquant l’ »information ». Enfin, les manifestations et pétitions, ainsi qu’un nombre important d’actions de désobéissance civile ne sont bien souvent que des suppliques, des réclamations adressées par « la base aux puissants », en une acceptation de la structure hiérarchique et discriminante pyramidale mise en place par la civilisation industrielle. Demander aux institutions qui ont été mises en place par le capitalisme de mettre fin aux errements structurels dudit capitalisme est un non sens absolu. L’Etat n’est pas l’allié des citoyens, il est avant tout le garant du bon fonctionnement du système capitaliste.
Face à l’urgence et à l’importance du saccage de la Nature, et à la faiblesse des résultats obtenus jusqu’ici, de nombreux écologistes ont compris qu’il était indispensable de trouver des méthodes de lutte plus actives, de mener des actions directes pour sauver ce qui peut encore l’être. C’est pourquoi de nouvelles organisations comme notamment Extinction Rebellion ont été créées. Elles encouragent des actions de désobéissance civile, des blocages, des occupations. L’essor de ces moyens de protestation est indispensable, mais ils ne sont encore une fois pas à la hauteur des enjeux, ils ne suffisent pas. Car on observe que la plupart de ces mouvements n’ont pas d’analyse politique claire, ils n’identifient pas d’adversaire, ils s’enlisent dans une ambigüité fondamentalement schizophrénique : comment arrêter la destruction de la planète tout en conservant les avantages et le confort matériel auxquels les classes moyennes et supérieures (qui composent l’essentiel des membres de ces mouvements) sont habitués ?
Il est indispensable de prendre conscience de la complémentarité des stratégies d’attaque et de défense. Se borner uniquement à une stratégie de défense relève de la même logique que de s’infliger l’auto-limitation d’actions strictement non violentes : une logique de censure non seulement qui n’entrave en rien cette civilisation destructrice, mais qui permet d’établir des relations de complicité entre certaines organisations protestataires et le système qu’elles sont censées combattre (comme on a pu le constater lors du sommet du G7 ayant eu lieu à Biarritz en 2019). (2)
Le capitalisme, et sa construction, l’Etat, ont depuis toujours intérêt à segmenter les protestations en les enfermant dans des problématiques spécifiques et idéalement contradictoires, afin d’éviter les convergences. Pour que des actions de désobéissance civile de masse puissent être véritablement efficaces, des groupes en apparence distincts doivent se rassembler pour comprendre qu’ils sont tous victimes du fonctionnement de la civilisation industrielle. Une multitude de petits groupes formés de Gilets Jaunes, certains agriculteurs, jeunes des banlieues, camionneurs, écologistes, pêcheurs, etc. pourrait s’organiser pour bloquer durablement des endroits névralgiques soigneusement ciblés. C’est ainsi que les « petits », les « sans-dents », les « pauvres », les très nombreux laissés pour compte du système capitaliste pourraient inquiéter véritablement l’extrême minorité des profiteurs du système, les fossoyeurs de la Nature et de la majorité des humains.
2. La guerre écologique décisive
Quel est notre objectif ultime ? Faire en sorte que la planète et ses habitants survivent, que les humains comprennent profondément que chaque animal et chaque végétal est un être sensible ayant le droit de vivre, réaliser qu’au-delà des différences individuelles aucun être humain n’est supérieur à un autre, permettre aux cycles naturels de se reconstituer et de se développer concomitamment avec des communautés humaines soutenables.
Cet objectif n’est pas utopique. L’effondrement se produira même dans le cas où aucune résistance ne s’oppose au système capitaliste. Simplement, le scénario de toute puissance absolue du capitalisme est le pire, celui qui engloutira le monde et l’ensemble de ses habitants dans des catastrophes telles que notre planète risque la stérilisation, l’éradication de toute forme de vie. Eviter ce type de scénario avant qu’il ne soit trop tard est impératif. C’est pourquoi il faut stopper, supprimer l’origine de la folie destructrice qui ravage le monde et le vivant, à savoir la civilisation capitaliste et industrielle.
Détruire la civilisation capitaliste et industrielle
Nous savons que les moyens à notre disposition n’ont rien à voir avec la toute puissance du capitalisme. Pour mener à bien cette guerre asymétrique, plusieurs phases sont nécessaires.
La mobilisation des militants doit pouvoir durer dans le temps, sans s’affaiblir à cause des pesanteurs de la vie quotidienne (qui proviennent essentiellement du fonctionnement du système), ou en raison du régime de la peur installé par la multiplication des mesures de surveillance et de coercition. Il faut donc organiser des réseaux et une culture de résistance, par le recrutement, la formation et l’entraînement de militants dans différentes organisations ayant des affinités autour de sujets communs ou complémentaires.
Ces groupes peuvent être à visage découvert ou clandestins. Les groupes à visage découvert mènent des opérations d’information, de communication et de sensibilisation pour faire connaître les différentes tactiques et stratégies. Ils expliquent leurs positions relatives aux problèmes écologiques et justifient le recours à des moyens radicaux pour y mettre fin. Ils dénoncent le greenwashing, informent sur les mensonges des industriels dans leur promotion d’un Green New Deal, démontrent l’inutilité de s’adresser aux dirigeants sans avoir institué au préalable un rapport de force, identifient les adversaires tels que certains lobbys, certains scientifiques corrompus (ce qu’on appelle les conflits d’intérêts en novlangue) et certaines organisations assistées financièrement par des multinationales, soutiennent les prisonniers politiques détenus pour leurs actions de militants écologistes. Ils tissent des relations entre les différents groupes, en se soutenant mutuellement et en partageant des informations.
Les groupes clandestins sont totalement indépendants et sans aucune relation avec les groupes à visages découverts. Ce sont des résistants qui doivent tout d’abord se structurer et privilégier la sécurité de leurs membres avant d’organiser des actions directes. Les actions devront être décisives grâce à une sélection rigoureuse des infrastructures déterminantes pour le fonctionnement du système capitaliste afin de les paralyser partiellement ou définitivement. L’argent étant un des fondamentaux du capitalisme, les actions des groupes clandestins devront notamment frapper des cibles coûteuses. (3)
3. Créer des alternatives
Nous avons besoin de transformer notre relation avec la nature et entre êtres humains, et de retrouver un rythme et une qualité de vie dont nous avons été dépouillés par ce que certains appellent « modernité » et « progrès ». Des personnes et groupes de plus en plus nombreux créent de nouveaux espaces de liberté (4), des communautés alternatives, inventent de nouvelles manières de s’alimenter, de se loger, de tisser des liens en prenant des initiatives locales (5).
Au-delà de l’opposition frontale au système capitaliste, il est de la responsabilité des activistes d’accélérer l’extension et la pérennisation de ces modes de vie actuellement considérés comme alternatifs afin de prévenir le chaos qui pourraient advenir à partir du moment où la civilisation industrielle, l’économie capitaliste et le système financier et boursier auront été anéantis.
- https://www.partage-le.com/2018/06/erica-chenoweth-ou-quand-letat-et-les-banques-promeuvent-la-non-violence-par-nicolas-casaux/
- https://lundi.am/Le-pire-contre-sommet-de-l-histoire
- https://theintercept.com/2019/10/04/dakota-access-pipeline-sabotage/
- http://pourlautogestionlereseau.blogspot.com/2016/10/zad-notre-dame-des-landes-zone.html
- https://usbeketrica.com/article/philippe-bihouix
Mention legale
Cette stratégie est le fruit d’une réflexion intellectuelle et humaine, mais il ne s’agit bien-sûr en aucun cas d’un appel à l’action. Tout le contenu présenté ici s’inscrit dans un exercice de pensée virtuel et fantaisiste qui ne vise en aucun cas à faire l’apologie ni à inciter aux actions décrites, qu’elles soient passées, présentes, ou futures.