Il existe trois grandes catégories d’approches proposées par l’écologie mainstream pour qu’une société plus respectueuse de son environnement puisse émerger. La première solution est technologique, la seconde porte sur des stratégies individuelles susceptibles de devenir collectives par accumulation, la troisième est une solution institutionnelle. Ces différentes solutions ne s’excluent pas entre elles, et beaucoup de gens se définissent comme écologistes en prélevant des éléments dans chacune des trois catégories.
1. Les technologies sauveront le monde !
Pour de nombreuses personnes, il est courant d’espérer que les nouvelles technologies, plus efficientes, plus « vertes », permettront de résoudre le problème écologique actuel ; en réalité ça n’est jamais le cas.
Les nouvelles technologies sont présentées par les institutions, les gouvernements, les médias comme plus efficaces, moins polluantes, moins gourmandes en énergie, recyclables. La technologie est source d’amélioration de la qualité de vie, d’un avenir enviable dans un cadre naturel préservé, en harmonie avec notre environnement. Finalement, la technologie nous apporte le bonheur.
Rien n’est plus faux.
Tout d’abord parce que les industriels ont toujours besoin de nouveaux débouchés économiques, et l’innovation technologique permet de fabriquer de nouvelles machines, d’engendrer de nouveaux produits et de nouveaux désirs.
Ensuite parce qu’une majorité de nouvelles technologies ne remplacent pas les anciennes, elles s’y ajoutent :
- Les trottinettes électriques, censées remplacer les voitures, viennent en réalité se substituer aux déplacements piétons et augmentent la circulation motorisée existante.
- Les LED, une nouvelle génération d’ampoules, consomment moins d’électricité que leurs équivalents mais doivent être accompagnées d’un dispositif électronique polluant et peuvent perturber le cycle du sommeil. Les économies d’électricité des LED permettent l’explosion des éclairages dits « intelligents » et connectés, la multiplication des panneaux lumineux ultra-plats. (1)
- L’Espagne, entre 1998 et 2008, a multiplié par 80 sa production d’énergie éolienne. Durant la même période, la production électrique totale espagnole a été multipliée par deux. En d’autres termes, l’Espagne a augmenté sa dépendance au pétrole durant cette période.
- La production de déchets électroniques devrait croître de 30% par an au-delà de 2020, soit deux fois plus rapidement qu’aujourd’hui.
Par ailleurs que deviennent les indéniables gains en efficacité énergétique ? Ils sont utilisés pour consommer toujours plus d’énergie. En règle générale les gains de productivité énergétique ou industriels non seulement ne font pas diminuer la consommation mais on constate au contraire une augmentation. Dès 1865, l’économiste William Stanley Jevons constatait que les économies d’énergie réalisées grâce au moteur à vapeur conduisaient à une augmentation de la consommation de charbon du fait de la généralisation de ces machines. Le paradoxe de Jevons a été repris dans les années 1980 par le postulat Khazzoom-Brookes qui observe que les améliorations de l’efficacité énergétique entraine une consommation toujours grandissante d’énergie (2)
Toutes les technologies ont besoin de matières premières et d’énergie. Tant que les matières premières et les différentes sources d’énergie étaient abondantes et peu coûteuses, elles furent utilisées sans jamais se poser la question de leur finitude. Dès lors que l’on prit conscience que ces ressources n’étaient non seulement pas renouvelables mais également de plus en plus difficiles à trouver, ce qui avait pour effet d’augmenter le coût de production, les industriels mais aussi les consommateurs commencèrent à vouloir trouver des solutions plus « durables ». C’est-à-dire que les profits (pour les industriels), et un mode de vie confortable (pour les classes moyennes et « supérieures ») devaient absolument perdurer. Les technologies dites « vertes » et « renouvelables » ont été inventées et sont soudain devenues nécessaires, car elles sont censées utiliser moins d’énergie, moins de matières premières, et sont pour partie recyclables. (2)
Prenons quelques exemples de ces nouvelles technologies qualifiées par les industriels de vertes ou renouvelables :
- les voitures électriques. Une voiture électrique pèse entre 1,6 tonnes et 2 tonnes, elle est constituée d’aluminium et d’acier pour la carlingue, de différents plastiques pour l’intérieur, et contient une batterie lithium-ion d’environ 500 kg. L’énergie électrique est produite en France essentiellement par le nucléaire, et l’essor des voitures électriques servira de justificatif pour construire de nouvelles centrales, et notamment de ruineux EPR. Chaque année 93 millions de voitures toutes catégories sont vendues dans le monde.
- les éoliennes. Pour construire une éolienne de 5MW, il faut 3 tonnes d’aluminium, 4,7 tonnes de cuivre, 335 tonnes d’acier, 1200 tonnes de béton et 2 tonnes de terres rares. La France a une capacité de 15.858 MW sur une capacité de production annuelle de 130.772 MW, mais l’énergie produite par l’éolien ne représente en réalité que 4,5% (24TWh sur un total de 529,4 TWh).
Enfin, de nombreux représentants des pseudo-élites professent un volontarisme et une fuite en avant technophile et parfois même sectaire, leur argumentation consistant à dire que tous les problèmes seront résolus par des innovations aussi futures qu’hypothétiques. Ce genre d’attitude relève de la pensée magique, un comble pour les promoteurs de la technologie.
La promotion des technologies «vertes» est bien utile : elle permet de continuer de produire, de consommer, d’acheter, de vendre, de produire de la richesse, des emplois, bref de ne rien changer, tout en faisant croire par des campagnes de propagande que la nature sera sauvée par ces mêmes actions. Ce discours, bien que très attrayant, est faux.
En réalité la production industrielle qui s’appuie sur la technologie est antinomique avec la préservation de ce qui reste d’espaces naturels, d’animaux et de végétaux sauvages. La technologie nécessite la création de machines. Les machines sont construites à partir de matériaux qu’il faut extraire du sol ou du sous-sol. Le sol doit être défriché, les fleuves doivent être domestiqués, les forêts primaires abattues pour recevoir les mégalopoles, les villes, les usines, les mines, les plantations intensives.
Ce cycle destructeur ne s’arrêtera qu’avec la fin de la civilisation industrielle.
2. Les stratégies individuelles : la décroissance seule est illusoire
Une deuxième tendance prônée et adoptée par de nombreux écologistes est celle des « petits gestes ». Cette croyance laisse penser que si chacun changeait un certain nombre d’habitudes personnelles (recycler, réutiliser, manger végétarien ou vegan, rouler à vélo, privilégier les circuits courts, etc.), le problème écologique serait résolu lorsque des dizaines de millions de consommateurs adopteront des comportements similaires.
Bien évidemment le fait de ne plus -ou de moins- participer à l’immense gaspillage dont la civilisation occidentale (qui s’est déployée jusqu’à devenir mondialisée) s’est rendue coupable durant plusieurs dizaines d’années est un objectif non seulement louable mais aussi indispensable. Les gestes individuels quotidiens permettant d’être moins voraces ont aussi l’avantage d’intégrer la prise de conscience selon laquelle les ressources offertes par la Terre (et vendues par les industriels) ne sont pas infinies.
La transformation d’un mode de vie insouciant pour adopter un comportement qui impose à chaque individu des restrictions ou des contraintes librement consenties représente déjà un changement considérable. Il permet notamment de se libérer d’une forme d’addiction que le libéralisme a infligé en nous faisant croire que l’accès à un certain niveau de vie devenait une source inépuisable de plaisirs.
« Si tu veux (gagner de l’argent), tu peux (faire tout ce que tu veux) ». Ce genre de croyance est non seulement socialement destructeur, mais détermine une consommation de masse irresponsable qui correspond aux objectifs de l’économie capitaliste. Ce raisonnement est d’autant plus difficile à combattre qu’il a été efficace durant plusieurs décennies. Les personnes les plus conscientes s’aperçoivent à présent que cette conviction est devenue fausse car les ressources de la planète se raréfient et ne permettent en aucun cas de soutenir durablement une telle voracité.
Ces prises de consciences doivent cependant aller plus loin : la décroissance est nécessaire mais pas suffisante, et cela pour plusieurs raisons.
- Les gains en ressources économisées par les « petits gestes » seront réemployés pour fabriquer d’autres objets de consommation en créant de nouveaux besoins. L’humanité a pu se développer durant des centaines de milliers d’années sans téléphone portable. Et de plus en plus, lorsqu’un téléphone portable ne fonctionne plus, certains se sentent comme amputés d’une extension d’eux-mêmes, ou encore agissent comme des drogués en manque, ou même développent des pathologies qui nécessitent la prescription de médicaments.
- L’exemple des douches courtes est lui aussi particulièrement significatif. (4)
- L’incidence des « petits gestes » individuels sur le fonctionnement général de la civilisation industrielle, bien que non négligeable, reste minime. Le film d’Al Gore, « Une vérité qui dérange » propose par exemple en ensemble de petits gestes pour réduire ses émissions de CO2. Si chaque américain appliquait l’ensemble de ces restrictions, la production de CO2 des Etats-Unis ne baisserait que de 22 %. Toujours aux Etats Unis, les déchets individuels représentent seulement 3 % de l’ensemble des déchets produits. L’irrigation des quelque 730 golfs français équivaut à la consommation annuelle de 8 millions d’habitants. (5) La consommation moyenne d’eau d’un français est actuellement de 148 litres par habitant et par jour. Au XVIIIème siècle, elle était en moyenne de 15 à 20 litres par habitant.
- En adoptant la seule décroissance comme moyen de lutte, nous nous limitons à être des consommateurs, à savoir des acteurs circonscrits dans le champ économique qui nous est imposé par le capitalisme.
- Avec la politique des « petits gestes », le pouvoir capitaliste réussit à renverser la charge de la responsabilité sur chaque personne, en individualisant la culpabilité. C’est donc chaque individu qui est responsable de la déforestation de l’Amazonie en mangeant des steacks hachés. A chacun de se débrouiller avec sa conscience. Ce point de vue est cependant très partiel, car il s’agit pour le système capitaliste de dissoudre les responsabilités, ce qui revient à s’en exonérer impunément.
- Enfin, porter l’attention sur la seule décroissance empêche de remettre en cause les fondements même du capitalisme, de la société marchande mondialisée, de la civilisation industrielle. Il faut reconnaître politiquement que le système industriel et capitaliste est fondamentalement destructeur.
Agir depuis l’intérieur du système en suivant ses règles de fonctionnement est nécessairement voué à l’échec car on devient soi-même une partie de ce mécanisme destructeur. Lorsqu’une maladie nous ravage, lutter contre les symptômes ne suffit pas, il faut l’éradiquer. De même, ce ne sont pas les « petits gestes pour l’environnement » qui suffiront à démanteler le système capitaliste qui extermine et asservit l’ensemble du Vivant.
3. L’illusion des changements institutionnels
Depuis quelques décennies l’écologie est devenue un mouvement politique comme tous les autres, qui obéit aux mêmes règles d’accession au pouvoir que les autres partis. L’un des objectifs des partis écologistes est de changer les choses « de l’intérieur », en participant au fonctionnement des institutions locales, régionales, nationales. D’indéniables résultats ont ainsi été obtenus par des personnes courageuses et déterminées, mais quel bilan plus global peut-on en retirer ?
Puisque l’on dispose de plusieurs décennies d’expérience, quels constats peut-on faire par rapport aux résultats obtenus ?
- Les partis écologistes se sont illustrés par de constantes luttes intestines jusqu’à atteindre parfois des sommets pathologiques. Les instances dirigeantes consacrent une grande partie de leur temps à des jeux de pouvoir afin de faire adopter leur vision égotique de l’écologie pour obtenir des postes considérés comme prestigieux.
- Une fois arrivés au pouvoir, de nombreuses personnalités écologistes ont été emportées par l’ivresse de leur triomphe personnel tout en étant confrontées à l’impuissance de pouvoir agir sur le système (si tant est qu’ils essayaient de le faire). Ces personnalités et ces élus ne servent bien souvent que de caution morale à des instances immorales qui tolèrent leur présence tant qu’ils obéissent aux ordres. Ces écologistes sont condamnées à se vanter médiatiquement de pitoyables mini-mesures alors que la mécanique capitaliste peut continuer librement à fonctionner. La cause écologiste est devenue reniement.
- Lorsque l’on utilise son énergie à des affrontements individuels sans fin ou à digérer sa soumission politique, on en oublie les fondamentaux de son engagement d’origine. Beaucoup d’écologistes ont ainsi oublié ce qu’est l’écologie. Ils deviennent des technocrates sans imagination, se transforment en rouages de la mécanique institutionnelle capitaliste, raisonnent en termes uniquement basés sur l’économie, et finalement deviennent des profiteurs du système qu’ils sont censé combattre.
- Les militants écologistes dits « de base » se sont trop longtemps reposés sur les instances dirigeantes de leurs partis. Ces militants signalent les projets locaux de destruction à leur parti, mais s’aperçoivent qu’ils doivent bien souvent se débrouiller tout seuls dans leur combat. Car bien souvent les intérêts dits supérieurs du parti ont pour conséquence soit une censure directe soit une auto-censure.
Les grands partis écologistes sont inefficaces et au pire cautionnent le système capitaliste. Donner sa confiance aux institutions et aux partis institutionnels est une grave erreur. Pour ces partis, il faut toujours soit être en position de défense (la défense de l’environnement) et par conséquent mener des combats d’arrière-garde, soit proposer des changements dans le cadre des institutions dont le but est la continuation du système capitaliste, de ses destructions, de ses inégalités sociales.
Un changement véritable ne peut avoir lieu qu’en adoptant une stratégie d’attaque et de combat contre ce système oppressif. A l’heure actuelle, les coopérations et regroupements en petites entités peuvent s’avérer bien plus efficaces pour s’attaquer aux infrastructures matérielles qui soutiennent le fonctionnement de la mécanique capitaliste et déshumanisante.
- En outre la fabrication des LED nécessite des terres rares (indium, gallium), or les gisements exploitables et connus d’indium seront épuisés en 2025. M. Lokanc, R. Eggert, M. Redlinger, « The availability of indium : the present, medium term and long term« , NREL, octobre 2015.
- Voir les travaux de l’historien Jean-Baptiste Fressoz, notamment « L’Apocalypse Joyeuse, une histoire du risque technologique, éditions du Deuil, 2013.
- Le recyclage lui-même n’est pas neutre, puisqu’il nécessite de l’énergie, des investissements, des circuits de récupération, et soit des machines utilisant les dernières technologies les plus performantes soit une vaste main d’œuvre exploitée, sous-payée, condamnée à la survie au quotidien.
- https://www.partage-le.com/2015/03/oubliez-les-douches-courtes-derrick-jensen/
- Les golfs et l’eau (annexe 29 d’un rapport du Sénat sur l’eau). https://www.senat.fr/rap/l02-215-2/l02-215-225.html