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Plutôt que de s’attaquer aux symptômes de la destruction de la nature – réchauffement climatique, déforestation, acidification des océans, et j’en passe – l’écologie radicale souhaite s’attaquer à ses racines. Pour cela, il faut s’attacher avant tout à déterminer quelles sont ces racines.
Si vous êtes sur cette page, vous n’avez probablement pas besoin d’être convaincu de la gravité du problème ni de la nécessité de passer à l’action.
Quand on s’apprête à s’attaquer à un problème, il est de bon goût d’en connaître la cause. Bien que cela paraisse évident, cette étape de réflexion est souvent négligée : on cherche comment sauver la forêt, en éteignant les incendies et replantant des arbres, sans réfléchir aux mécanismes qui mènent à sa destruction; on cherche à sauver la faune en déclarant telle ou telle espèce « protégée », sans remettre en cause les systèmes qui poussent à la disparition de l’ensemble des espèces animales et végétales. Un mauvais diagnostic de la cause mène à une lutte inefficace.
Nous allons nous intéresser à trois mécanismes qui ont mené à notre situation actuelle, du plus abstrait et profondément ancré dans nos esprit, notre culture, pour passer par un de ses avatars, le capitalisme, et terminer avec le plus concret et récent historiquement : l’industrialisme.
1. La civilisation, ou la domination de la nature par l’Homme
Une idée simple mène à la destruction de la planète, et celle-ci est profondément ancrée dans nos sociétés : l’Homme – et ce qu’il produit, la civilisation – est supérieur à la nature, il doit la contrôler, la dominer, l’entretenir. Un exemple caricatural de cette idée provient des fameux versets de la Genèse : «Dieu bénit Noé et ses fils et il leur dit : soyez féconds, multipliez-vous, emplissez la terre. Soyez la crainte et l’effroi de tous les animaux de la terre et de tous les oiseaux du ciel, comme de tout ce dont la terre fourmille et de tous les poissons de la mer : ils sont livrés entre vos mains.» Il n’est pas rare de situer l’origine d’une telle idée durant la révolution du Néolithique et la naissance de l’agriculture .
Sans rentrer dans des débats historiques, il est certain que des sociétés n’étant pas dotées de la même puissance technologico-industrielle que la nôtre, mais ayant la même culture, ont provoqué d’immenses destructions. Par exemple, le Liban était une forêt de cèdres avant d’être entièrement déforesté par les civilisations Égyptiennes puis Perses, Turques et Romaines, aux alentours de 2000 av JC. Un autre exemple plus proche est celui du Dodo. Le Dodo est découvert en 1598, il souffre de la chasse, de la déforestation et des espèces animales importées. Il disparait moins d’un siècle après avoir été découvert par les européens.
Ainsi notre relation à la nature, inscrite profondément dans la culture de certaines sociétés dont la nôtre, mène à des comportements destructeurs vis-à-vis d’elle.
Si la destruction de la planète n’est pas nouvelle, elle accélère exponentiellement. Deux facteurs permettent d’expliquer cette accélération : le capitalisme et l’industrialisme.
2. Le capitalisme, ou la croissance nécessaire
Le capitalisme se définit, entre autre, par la recherche du profit pour lui-même, sans autre objectif que l’accumulation de celui-ci: l’argent est une finalité en soi. Cette augmentation perpétuelle des profits passe notamment par deux mécanismes : l’accumulation de capital et l’accroissement des débouchés.
Dans la logique capitaliste, les entreprises sont en concurrence entre elles. Cette concurrence mène à une recherche permanente d’une augmentation de la productivité, pour gagner des parts de marché. Les gains de productivité passent notamment par l’usage de machines et de capital, pour remplacer l’humain. Les gains de parts de marché, donc d’argent, permettent à leur tour d’acheter des machines plus efficientes et remplacer de nouveaux travailleurs, pour gagner à nouveau de nouvelles parts de marché. Ainsi, le jeu de la concurrence pousse les entreprises à gagner en productivité pour accumuler du capital pour gagner en productivité, etc..
De plus, pour que les gains de productivité se transforment en gains d’argent, il faut trouver des acheteurs : un bien n’a de valeur, au yeux du capitaliste, que lorsqu’il a été acheté. Comme la production est en croissance constante du fait du jeu de la concurrence, il faut une croissance constante des débouchés, pour écouler les marchandises. Cela explique la nécessité d’une publicité toujours plus agressive et l’ouverture permanente de nouveaux marchés (en vendant de nouvelles choses, à de nouveaux publics), bref d’une société de consommation.
En résumé, pour permettre l’accumulation perpétuelle d’argent, et donc se maintenir, le capitalisme a besoin de croissance, du productivisme et du consumérisme. Un capitalisme sans croissance, sans accumulation du capital, sans accroissement des débouchés et donc de la consommation ne serait tout simplement pas du capitalisme.
Une fois cela compris, il est aisé de voir pourquoi une production et une consommation toujours croissante est fondamentalement incompatible avec des ressources physiques qui sont elles bien limitées, et donc pourquoi un capitalisme vert est simplement impossible.
S’il est difficile d’imaginer un capitalisme sans industrie, il est courant de voir des idéologies anti-capitalistes pour des raisons sociales, qui restent pourtant pro-industrielles.
3. L’industrialisme, ou l’arme de destruction massive
L’industrie n’est envisageable que grâce à une accumulation extra-ordinaire de capital et une conception très utilitariste de la nature, elle est donc liée aux deux précédents points. Ainsi, si le monde pré-industriel contenait tous les germes de la destruction planétaire, l’industrialisation a rendu notre destruction planétaire d’une efficacité redoutable.
La pêche industrielle a permis de vider les océans, l’agriculture industrielle de tuer les sols, l’industrie minière et l’industrie pétrolière sont responsables de la destruction d’écosystèmes entiers et permet l’approvisionnement en énergie et en matière première du reste des industries.
De par sa capacité de destruction massive, l’industrie est un problème en soit. Elle peut être également une cible prioritaire. Si l’industrie n’est pas réductible au capitalisme, la croissance capitaliste elle, est fortement dépendante de l’industrie. En effet, sans industrie, pas d’énergie peu chère et pas de matières premières pour produire les biens qui inondent nos marchés.
Ainsi la fin de l’industrie pourrait très bien mener à la fin du capitalisme.
Nous avons au final, trois problèmes, qui sont bien entendus liés entre eux, mais pour autant distinct les uns des autres : une culture écocidaire, un système économique écocidaire, et des instruments de production écocidaire.
Il est important d’avoir conscience de ces trois piliers de la destruction planétaire : plutôt que de s’attaquer inlassablement aux symptômes (déforestation, surpêche, pollution, réchauffement climatique, artificialisation des sols, etc.), sans succès, il est nettement plus efficace de s’attaquer aux causes.